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d’où il est parti pour gagner la frontière ; il affirme avoir rencontré à ce rendez-vous un monsieur qu’il a décrit et dont le portrait ressemble étonnamment au mien et il ajoute que ce monsieur n’est pas parti avec l’équipe. Je fais remarquer combien cette déposition confirme mes aveux et mon rôle tout à fait secondaire au point de vue du recrutement…

M. Henry me signale que certaines de mes cartes postales sont blessantes pour eux. Il me prie de mesurer mes paroles. Ma carte de vendredi dernier faisait mention de coups de canon sourds et lointains, dont le bruit avait été entendu au cours de mon passage au préau. J’en avais déduit que peut-être quelque chose de sérieux se préparait et j’espérais pouvoir bientôt assister à l’entrée des petits Belges à Bruxelles…

À trois heures et demie, on m’annonce une visite. Je me rends au bureau de MM. Bergan et Henry, où, en leur présence, j’ai pu converser avec ma femme et mes enfants que j’ai embrassées avec tendresse. Mon regard fut frappé par le visage mélancolique de ma petite Madeleine ; elle était blême, ses yeux étaient entourés d’une ligne rouge au bord de laquelle s’arrêtaient des larmes qui brillaient comme des rosées sur les fleurs fraîchement écloses. Son regard était imprégné de douleur ; déjà pareille au faible roseau qui plie sous la rafale, mais résiste quand même, sa petite âme subissait les premiers chocs des heures douloureuses de la vie. En une vision rapide, je voyais défiler devant moi le triste tableau de mon arrestation ; je souffrais et refoulais avec peine des sanglots qui gonflaient ma poitrine ; les larmes me venaient aux yeux, mais par suite de cet effort ne s’écoulaient point. Ma chère femme me parla de ma mère : elle aussi voudrait venir voir son fils, l’étreindre dans ses bras, lui apporter ses plus douces consolations, raffermir son énergie et son courage. Ô maman chérie, Dieu sait à quel moment tu pourras revoir ton fils aimé que tu as donné à notre belle Patrie, pour laquelle il est prêt k verser jusqu’à la dernière goutte de son sang.

Puis, ma chère femme s’adressant à ces messieurs leur dit : « N’est-ce pas que ce qu’il m’écrit est joli ? » Et j’étais heureux d’apprendre que les soupirs de mon âme navrée lui apportaient de douces émotions.

Elle me parla aussi de notre chien, de notre Diane, qui cherche en vain son maître, La pauvre bête semblerait avoir