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vieille grille de bois, brunie, vernie, cirée… et quand il fait trop chaud, on ferme cette grille, ce qui permet d’ouvrir la porte ; et l’air peut entrer librement.

La maison de Loti, elle aussi, a sa grille. Et quand on entre, il faut bien prendre garde : car la marche palière est usée, creusée… Tant et tant de générations ont frotté leurs semelles sur cette pierre tendre I Aujourd’hui, si vous sortiez dans l’obscurité sans savoir, vous tomberiez probablement…

La rue, donc, est une rue comme toutes les rues d’ici, bien rustique, bien campagnarde. On vous a parlé de mosquée ? N’attendez pas de voir un minaret ! On vous a parlé de Chine ? d’art gothique ? N’attendez ni gargouilles, ni toits recourbés !

Loti, qui n’aime pas les changements, a voulu, d’abord, et par-dessus toutes choses, que la rue Pierre Loti demeurât bien exactement ce qu’avait jadis été la rue Saint-Pierre ; que rien n’y fût changé, ni une façade, ni un marteau de porte, ni même la couleur d’un volet ; bref, que son grand père à lui, l’ancêtre Viaud, se relevant un jour d’entre les morts, pùt reconnaître, du premier coup d’œil, son antique demeure…. Loti a voulu cela, d’abord. Et ayant tout de même amassé, peu à peu, au cours de ses très longs voyages, mille et dix mille curiosités, mille et dix mille merveilles, mille et dix mille magnificences ; et voulant donner à tout hospitalité dans sa maison, et voulant tout entourer des cadres qu’il fallait, — cadres ingénieux, cadres faits exprès, — Loti, pour résoudre ce délicat problème, n’a rien trouvé de mieux qu’acheter, une à une, toutes les maisons voisines de sa maison, et respectant leur extérieur, leur architecture et surtout leur façade, d’en bouleverser le dedans et d’y établir un gigantesque musée, le musée nécessaire. C’est là que, pour héberger les débris de plusieurs vieilles églises désaffectées par nos anticléricaux imbéciles, ce huguenot, d’une incroyance désespérée, construisit deux salles, l’une Renaissance, l’autre gothique, belles comme la Sainte-Chapelle et comme le château de Blois. C’est là que, pour donner asile aux splendeurs chinoises qu’il avait sauvées, l’an 4901, lors de l’expédition Waldersee, du vandalisme russo-allemand, il édifia deux salles et une pagode, où s’entassent les plus authentiques chefs-d’œuvre, arrachés très péniblement, très énergiquement, très patiemment aussi, aux crosses d’une