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soldatesque ivre…[1]. C’est enfin là que, des débris d’une mosquée damascène, désaffectée, démolie et vendue à l’encan, Loti, grâce à la complicité d’une poignée de quelques contrebandiers, moins bêtes et moins vandales qu’aucuns douaniers du monde, put réédifier, dans Rochefort, une mosquée, fille de celle que Damas avait abattue ; et cette mosquée s’enorgueillit de faïences turques et de faïences persanes telles que la Mosquée Verte à Brousse, même au temps que les Grecs ne l’avaient pas encore dépouillée, n’en connaissait pas de plus belles.

Bref, au dehors, cinq ou six maisonnettes toutes simplettes et fleurant fort leur parfum d’Aunis ou de Saintonge, et, au dedans, le palais d’Aladin, et aussi le palais de Gengis Khan ; et aussi le palais du roi Arthur ; et aussi, et toujours, la petite maison des ancêtres huguenots, avec leur salon de damas rouge et leur salle à manger de papier jaune ; avec aussi leur jardinet : huit mètres de long, six mètres de large ; avec un bassin ; et, au bord de ce bassin, une grotte en miniature… la grotte et le bassin dont il lit le portrait dans le Roman d’un enfant… et contre le mur de la maison, un fusain, cet « arbuste » dont il est question au Livre de la Pitié et de la Mort, — et au pied duquel Sylvestre, ou Pierre, enterrait rituellement les chattes, quand les pauvres bestioles, les unes et les autres, mouraient de leur belle mort… Tantôt, Pierre, encore là, et toujours fidèle à son poste, depuis quarante et un ans qu’il sert Loti, me racontera, montrant du doigt l’arbuste toujours vert : « C’est leur cimetière aux moumoutes, M. Bargonel… J’en ai bien mis douze ou quatorze là-dessous… »

Nous voilà donc arrivés, Mauberger et moi. Nous voilà dans le salon bleu… assis face à face, comme si nous faisions visite… Le salon bleu, c’est un salon à trois fenêtres, et d’un Louis XV fort pur… assez province, tout de même. Viaud, jadis,

  1. On a parle de vol et de pillage, à propos de cette expédition de Chine, l’an 1900. Il est navrant que pas un Français n’ait eu le courage de proclamer que les prétendus pillards, dont Pierre Loti était, ont tout bonnement sauvé d’une destruction inévitable et déchaînée quelques débris des trésors de Pékin, que le maréchal de Waldersee, sur l’ordre de son souverain, Guillaume II, détruisait, fracassait et pulvérisait. Loti, des quelques laques, des quelques porcelaines, des quelques cloisonnées qu’il sauva, a fait un musée ; et les générations à venir s’en réjouiront : sans de tels pillards, les Cosaques et les Brandebourgeois eussent joyeusement pilé le tout sous leurs larges semelles ; et nos petits journaux, et nos petits députés, n’ayant aucun galonnard à se mettre sous la dent, se seraient réjouis de la pureté de nos mœurs républicaines.