Page:Revue des Romans (1839).djvu/255

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sa distraction habituelle, et à cette science gymnastique et athlétique que les étudiants de toutes les classes de la société rapportaient des universités, qu’on peut le nommer sans crainte une des meilleures productions enfantées par les romanciers. Comme Don Quichotte, le curé Adams est toujours errant ; et si le chevalier de la Manche veut ressusciter l’ancienne chevalerie, Adams veut croire à l’existence de la vertu antique, et tous deux, pour prix de leur crédulité, reçoivent force coups de bâton, qui ne peuvent les déshonorer et nous égaient.

JULIEN L’APOSTAT, ou Voyage dans l’autre monde, in-12, 1743 ; trad. par Kauffman. L’original parut en 1743 dans un volume de mélanges. — On trouve abondamment dans cet ouvrage la gaieté particulière à Fielding, mais il est difficile d’en reconnaître le plan et le but.

TOM JONES, ou Histoire d’un enfant trouvé, 4 vol. in-12, 1750 ; idem, 6 vol. in-12, 1804 ; idem trad. par Chéron, 2 vol. in-8, 1836. — Tom Jones est tout à la fois le premier ouvrage anglais d’imagination, fondé sur l’imitation fidèle de la nature, et le roman le mieux fait de l’Angleterre. D’abord, l’idée première sur laquelle tout l’ouvrage est bâti est en morale un trait de génie. Des deux premiers acteurs qui occupent la scène, l’un paraît toujours avoir tort, l’autre toujours raison ; il se trouve à la fin que le premier est un honnête homme, et l’autre un fripon ; mais l’un, plein de candeur et de l’étourderie de la jeunesse, commet toutes les fautes qui peuvent prévenir contre lui la vertu même, susceptible de se laisser tromper ; l’autre, toujours maître de lui, se sert de ses vices avec tant d’adresse, qu’il sait en même temps noircir l’innocence et en imposer à la vertu. L’un n’a que des défauts, il les montre, et donne des avantages sur lui ; l’autre a des vices, il les cache, et ne fait le mal qu’avec sûreté. Le contraste est l’histoire de la société, et l’on n’a jamais, dans un ouvrage d’imagination, développé un plus beau fond de morale ni donné une plus grande leçon. Et d’ailleurs, quelle diversité de caractères, tous vrais, tous attachants ! La vertu bienfaisante d’Alworthy, malheureusement mêlée d’une trop grande facilité à se laisser prévenir ; la bonté naturelle et brusque du gentilhomme Western, original sans modèle, caractère inimitable avec ses préjugés, sa susceptibilité, son ignorance et sa rusticité, qui s’allient si bien à sa finesse naturelle, à sa bonne humeur campagnarde, à sa passion pour la chasse et à son amour distinct pour sa fille, à toutes ses bonnes et mauvaises qualités fondées sur cet égoïsme absolu, naturel à celui qui dès l’enfance n’a jamais trouvé un homme qui osât contredire ses sentiments ou censurer sa conduite, sa promptitude à se fâcher ou à s’apaiser, son aversion pour les lords et pour les duels, son