Page:Revue des Romans (1839).djvu/256

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goût pour les anciens airs de musique, et la sorte de respect qu’il a pour sa sœur, quoiqu’il la donne au diable cent fois le jour ; cette sœur si ridicule, avec ses prétentions à la politique et à la sagesse ; cette milady Bellaston, qui retrace si bien la noble assurance, l’effronterie et les faiblesses impérieuses des grandes dames quand elles protégent de beaux garçons ; la bonne Mme Miller, dont le cœur a deviné celui de Tom Jones, et qui l’aime si franchement ; M. Nichtingale, qui, comme tant d’autres, n’a besoin, pour faire une bonne action, que d’y être encouragé ; et Sophie, la charmante Sophie, dont l’amour est si vrai, si tendre, si courageux ; Sophie, qui, comme toutes les âmes bien nées, n’en devient que meilleure en aimant, et doit à l’amour de montrer tout ce qu’elle a d’excellent ; enfin jusqu’à la femme de chambre Honora, et aux deux pédants Tuakum et Squarre, tous les personnages sont des originaux supérieurement tracés, que vous connaissez comme si vous aviez vécu avec eux, que vous retrouvez tous les jours dans le monde, et que l’auteur peint, non par l’abondance des paroles, mais par la vérité des actions. Avec quel art le fil de l’intrigue principale passe à travers les événements épisodiques, sans que jamais on le perde de vue ! On n’y éprouve pas, il est vrai, le grand effet de quelques situations de Clarisse ; mais qui ne s’intéresse pas aux amours de Tom Jones et de Sophie ? qui ne désire pas leur bonheur ? Comme le dénoûment est bien suspendu et bien amené ! et quelle heureuse variété de ton ! Quelle foule de peintures comiques qui amusent le lecteur sans le refroidir, et promènent ses yeux sur le tableau du monde sans lui faire oublier les personnages dont la destinée doit l’occuper ! — Tom Jones est la vérité même prise sur le fait ; c’est en cela que consiste la supériorité immense qui le distingue de tous les ouvrages de ce genre qui l’ont précédé. L’ingénieuse idée du plan, l’heureux développement de l’intrigue, voilà ce qu’on ne pourra jamais trop louer dans cette composition délicieuse et si justement populaire. L’attention du lecteur n’est jamais détournée ni fatiguée par des digressions inutiles ou des transitions forcées. L’histoire du vieillard de la colline fait cependant exception à cet éloge si bien mérité d’ailleurs. Fielding, pour se conformer à un usage introduit par Lesage, a jeté cet épisode au milieu de son récit, comme il avait déjà intercalé celui de Léonora dans Joseph Andrews, avec aussi peu d’art que d’utilité. On s’est étonné aussi que Fielding ait laissé peser sur son héros la tache d’une naissance illégitime, et l’on a présumé qu’il l’avait fait à dessein, en mémoire de sa première femme, qui était un enfant naturel. Le roman lui-même nous en fournit un motif beaucoup meilleur ; car, si miss Bridget eût été secrètement mariée au père