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ARLINCOURT.

avec l’ascendant d’une organisation sublime pour imposer aux siècles leurs noms ! »

Nous nous garderons donc de juger M. d’Arlincourt. Ne sommes-nous pas de son siècle ?

IPSIBOÉ, 2 vol. in-8, 1823. — La scène est en Provence au XIIe siècle. Le héros, nommé Alamède, est un orphelin inconnu que le marquis d’Aiguemar a élevé dans son castel, situé auprès de la ville d’Aix, et dont il a fait son page. Alamède atteint sa vingtième année, et paraît destiné à devenir l’héritier des biens considérables de son bienfaiteur, lorsqu’auprès d’un marais redouté du vulgaire, et dans une habitation singulière, vient s’installer la mystérieuse Ipsiboé. Cette femme bizarre protége Alamède ; tantôt elle lui donne à entendre qu’il est de la plus basse extraction ; elle l’aime, et cependant elle est la cause de ses malheurs ; elle l’a fait venir dans son marais, où il se rend malgré la défense de son père adoptif, qui, en apprenant sa désobéissance, le chasse de son castel. Que fait cependant Ipsiboé dans son mystérieux asile ? Placée à la tête d’une grande association secrète, elle rêve, au milieu d’un temps d’ignorance, les idées grandes et généreuses d’un siècle éclairé, et, alliant aux plus nobles sentiments politiques les plus absurdes préjugés sociaux, elle présente l’amalgame le plus original et les effets les plus bizarres ; deux femmes se rencontrent en elle : l’une est la fille des âges barbares, et par conséquent l’extravagance même ; l’autre est l’héroïne des jours civilisés, et celle-là est aussi intéressante que belle. Quant au jeune Alamède, son caractère fou, léger, malin, étourdi, contraste avec les situations dramatiques dans lesquelles Ipsiboé le précipite. Orphelin obscur, sans nom, il devient amoureux de Zénaïre, reine de Provence, dont il ne peut supporter l’arrogance, et qu’il humilie tout en l’adorant. Il se trouve en outre, sans s’en douter, président de la grande association secrète, et sans savoir ni qui il est, ni ce que l’on veut, il conspire contre sa maîtresse. Raconter ici toutes les aventures au milieu desquelles il déploie la plus malicieuse gaieté serait en détruire d’avance tout l’intérêt ; nous nous garderons surtout de mettre le lecteur au fait du dénoûment, qui n’est pas la partie la moins étrange du roman.

Ipsiboé est un des ouvrages dans lesquels M. d’Arlincourt s’est éloigné de la manière qui lui appartient exclusivement ; ici ce n’est plus son pathétique violent, exagéré, son style guindé : l’auteur saisit le fouet de la satire pour la première fois ; il raille tout ce qui l’entoure, tout ce qui passe sous ses yeux, les superstitions religieuses, les préjugés nobiliaires, les abus politiques, notre ordre