Page:Revue des Romans (1839).djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus ce qu’on entend en français par une tragédie, que la Divine comédie du Dante n’est ce qu’on est convenu d’appeler une comédie ; c’est une conception tout originale dont il faut se garder de juger par comparaison avec rien de ce qu’on a coutume de faire. Cette conception est précédée d’un prologue sur le théâtre, dans lequel l’auteur se met en scène avec le directeur et le bouffon d’une troupe de comédiens ambulants ; ensuite vient un prologue dans le ciel, où Dieu entre en conversation avec un diable nommé Méphistophélès, qui demande et obtient du Seigneur qu’il lui permette de tenter, jusqu’à sa perdition, s’il se peut, Faust son serviteur. Voici comment, de retour sur la terre, marche l’action : Faust, le docteur, vieilli dans l’obscurité de l’école, dans la poussière des livres, et à force de peines devenu savant de tout ce qu’il est donné à l’homme de savoir, reconnaît avec amertume que toute science n’est que vanité et affliction d’esprit. « Après tant et de si longues veilles, se dit-il à lui-même, me voilà, pauvre fou, aussi sage que devant ; … nous ne pouvons rien connaître. Rien ! … La joie m’a fui sans retour ; … je n’ai d’ailleurs ni biens, ni argent, ni honneur, ni crédit dans le monde ; … non, un chien ne voudrait pas de l’existence à ce prix ! Je ne vois plus maintenant qu’une chose à essayer, c’est de me jeter dans la magie. » Par fortune, le grimoire de Nostradamus lui tombe sous la main ; il l’ouvre, et tout d’abord les génies cèdent à ses conjurations ; le monde des esprits lui est ouvert ; l’harmonie des cieux et le mécanisme de la terre se manifestent à ses yeux. Mais cette vision ineffable, ce rêve d’une imagination exaltée, qu’il suffit de l’arrivée d’un valet importun pour faire évanouir, ne servent qu’à rendre plus sensible au docteur la honte de son ignorance, le sentiment de son néant, et de quel poids sont pour l’âme les liens du corps. Après un fort long colloque avec l’impertinent valet, cette dernière idée lui revient. Comme il n’a pas grand’chose à perdre dans ce monde, et qu’en sa qualité d’esprit fort il ne craint rien dans l’autre, le voilà résolu à mettre son âme hors d’entraves : déjà le breuvage est préparé, déjà la coupe empoisonnée touche ses lèvres, quand soudain se fait entendre la douce mélodie d’un chant religieux : c’est l’office du matin d’un jour de Pâques, c’est l’hymne de la résurrection que l’on chante dans l’église voisine. Cette musique céleste, ces paroles de vie, réveillent dans l’âme du vieux philosophe les souvenirs de la jeunesse, jours d’innocence et de bonheur ; elles changent le cours de ses idées, le font renoncer à son sinistre projet, et l’entraînent hors de sa sombre demeure, sur le parvis de l’église, en vue d’une belle campagne que commencent à ranimer les souffles balsamiques du printemps, à l’instant où la troupe des fidèles sort en foule, se partage