fiait le malheur, et pourtant quelque chose qui annonçait une bonne et bienveillante nature de jeune fille. Mais bientôt la vie de l’infortunée jeune fille est flétrie pour jamais. Quand l’inconnu retrouve Henriette, elle a changé d’état ; il la voit accourir auprès d’un cadavre sanglant, le contempler sans changer de couleur, et dire : « C’est lui ! » En effet, c’était un jeune étranger qui, pour elle, avait oublié son gothique manoir, son bel avenir, son nom que sa patrie ne prononce pas sans respect ; qui s’était tué pour elle ! C’est que lui aussi l’avait vue dans sa beauté virginale, et sous ces formes si pures il avait cru trouver une âme ! Elle ne dit pas autre chose que ces mots : « C’est lui ! » Froide et vaine, égoïste et ingrate, elle triomphait de se sentir affranchie d’un amour importun au prix de cette noble vie. L’inconnu ayant deviné la nature de l’âme de l’être auquel il s’était attaché, trouve l’occasion de laisser voir à Henriette toute sa pensée. Elle lui répond par un regard qui veut être méprisant, et qui n’est pas même colère. On le voit, cette Henriette charmante n’est que jeune, élégante et belle ; elle n’a que le prestige qui séduit et captive ; mais pour ce qui est de ce foyer brûlant des nobles émotions, des sentiments généreux, des affections chastes et pures, des dévouements poétiques, tout cela est mort en elle ; c’est la jeune fille sans délicatesse, sans reconnaissance, sans bonté, la jeune fille sans cœur. Le malheureux qui l’a aimée, le sait maintenant, et il l’aime encore. Il la suit à la trace des fautes dans lesquelles la coquetterie et la vanité la précipitent, au travers de scènes dont tout son être se révolte, et il l’aime encore. Il n’obtient d’elle ni une affection, ni un regard ; elle l’écraserait sous ses pas sans le prendre en pitié, et il l’aime toujours. Désenchanté, mais non affranchi, sa chaîne est seulement plus pesante, elle est glacée. Quelque chose de fatal, ce filtre qu’on ne peut ni nier, ni définir, le lie à cette destinée indigne de lui ; il éprouve que l’âme peut s’ouvrir au mépris sans se fermer à l’amour. C’est que dans la femme déchue il respecte l’ange qu’il rêva ; il ne prétend, il n’accepterait rien d’Henriette profanée ; et quand un éclair de colère, de passion, de vengeance, allumé en elle par l’orgueil irrité, l’a précipitée dans tout ce que l’infortune a d’abîmes, il se sent un moment libre et fier ; au moyen du crime, au moyen des cachots, elle est devenue inaccessible aux autres hommes. Il le croit, du moins ; mais cette dernière illusion lui sera effroyablement ravie. Encore un peu de temps et il sera vengé. Il est le seul qui l’ait aimée, le seul pour qui elle ait passé dans ce monde comme une étrangère. Vient le moment où elle aura pour lui ce qu’elle n’a eu pour aucun des hommes qui ont occupé sa vie, une émotion partie de l’âme. C’est quand sa dernière heure a sonné, quand elle cherche un regard
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