Page:Revue des Romans (1839).djvu/389

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nouissait à certaines heures, dans le fond du jardin, sous des tilleuls. C’était la douce, la naïve Madelaine, dont le monde n’avait encore altéré ni la candeur virginale, ni l’angélique simplicité. Mais le père Muller lut au cœur de sa fille et de Stéphen, et, en homme positif, dressa des chiffres, dont le résultat fut un congé en bonne forme. Stéphen pleura d’abord, et partit ensuite, mais plein de courage, car il était aimé de Madelaine, et un soir, dans un de ces moments dont le souvenir survit à celui de toutes les joies et de toutes les peines de la vie, Madelaine lui avait dit : « Atteins seulement, sur la route de la fortune, le commun des hommes, fais-toi un état, et reviens me demander à mon père. » Et Stéphen avait foi en ses paroles. Il se mit aux gages de l’université de Gœttingue, et put espérer d’obtenir un traitement de 1500 florins, mais dans huit mois, et huit mois c’est bien long. L’hiver approchait, Madelaine se rendit à la ville de **** pour le passer avec Suzanne, sa jeune et jolie amie. Elle alla avec elle dans les bals, dans les concerts et les fêtes ; la danse, la musique, l’éclat du monde l’éblouirent ; ce qu’elle avait dans le cœur s’affaiblit peu à peu, et, un beau jour, se perdit dans le tourbillon. Suzanne lui prouva qu’elle n’avait rien de mieux à faire que de conclure avec Edward, élégant jeune homme qui avait un cheval magnifique, un mariage qui rendrait son père content, et elle, Madelaine, riche, et par conséquent heureuse. Or, Edward avait été le camarade de Stéphen et le confident de son amour pour Madelaine. Mais Edward était né pour se trouver toujours sur le chemin de son ami. Il lui enleva Madelaine, comme un jour il lui avait escamoté Marie, gentille soubrette, que Stéphen s’était fait un devoir de respecter. Stéphen fut malheureux de ce mariage à en perdre la raison ; mais un jour il apprit qu’il héritait de dix mille florins de rente. Il y avait là de quoi prendre son parti… Il le prit et se jeta dans les plaisirs. Un jour il trouva son existence tellement vide qu’il en fut effrayé ; son âme appartenait encore à Madelaine. «Eh bien ! soit, dit-il alors, que l’amour ait le reste de ma vie comme il a eu le commencement, et Madelaine mes pensées, mon souffle, mon âme ! mais elle sera à moi, et je me vengerai d’Edward. » Et Stéphen se venge d’Edward… et Madelaine fut à lui, et sa vengeance fut terrible, mais juste. — Là devait s’arrêter le drame ; là aussi le lecteur fera bien de s’arrêter, car les pages qui suivent sont horriblement tachées de sang. La vengeance de Stéphen fait frémir ; elle se distille, s’écoule, est sombre dans ses apprêts, sombre dans ses résultats. Mais l’intérêt cesse de s’attacher à un cœur rempli d’une haine si méthodique, et sans intérêt point d’ouvrage durable. Cependant de légères taches ne doivent pas faire oublier tout le mérite du