Page:Revue des Romans (1839).djvu/390

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reste de cet ouvrage, qui renferme des incidents gracieux, des situations originales, des lettres palpitantes d’amour et ruisselantes de larmes.

UNE HEURE TROP TARD, 2 vol. in-8, 1833. — Ce roman est une fine et délicieuse étude du cœur. Les trois principaux personnages ont un charme inexprimable. Richard est l’homme positif, et de plus l’homme heureux ; ses fautes mêmes lui réussissent. Maurice, son ami, est l’homme du sentiment, que toutes ses bonnes qualités et ses bonnes actions mènent à sa ruine. Richard donne un grand coup d’épée à son ami, lui enlève la place qu’il sollicitait, s’enrichit pendant qu’il se ruine, et tout cela si involontairement, par un effet si naturel des qualités positives de son esprit, que le malheureux Maurice ne peut refuser à Richard son amitié et son estime. Entre eux, il y a une jeune fille, Hélène, d’une belle âme, d’une admirable beauté, que la noblesse de son cœur entraîne chaque jour, et par une effroyable fatalité, à une ignominie nouvelle. Hélène est la fille d’un garde forestier qui n’a plus que quelques jours à vivre ; à sa mort, sa famille n’aura d’autre perspective que l’abandon et la misère ; une place est offerte à Hélène, qui part pour la ville avec sa mère ; par malheur elles s’endorment toutes deux dans leur charrette, et un jeune chasseur qui passait a profité de leur sommeil pour faire rebrousser chemin au cheval. À leur réveil, les deux voyageuses se retrouvent à la porte de leur habitation ; lorsqu’elles s’aperçoivent de cette méprise, elles retournent à la ville, mais elles arrivent une heure trop tard, la place destinée à Hélène est occupée. Pour donner du pain à sa mère, Hélène donne son corps à un grand seigneur qui la poursuit de ses assiduités, réservant son âme pour celui qu’elle aimera d’amour pur et désintéressé, et qui l’aimera de même. Cet homme, elle le rencontre dans la personne de Maurice, dont elle devient la maîtresse, et qu’elle quitte plus tard sans qu’on puisse savoir ce qu’elle devient. Le sort d’Hélène a tenu à une circonstance frivole en apparence, à une place manquée ; cette circonstance, c’est Maurice qui l’a fait naître ; car c’est lui qui a détourné le cheval. — Tout ce tableau est si frais et si brillant, l’auteur y a répandu une variété si grande, qu’on ne saurait trouver une lecture plus attachante. M. Karr excelle surtout dans la peinture des champs, du ciel, des eaux fraîches et pures ; lorsqu’il décrit la nature, on sent qu’il n’est pas venu l’étudier un beau jour pour ajouter quelques pages descriptives à un roman ; il connaît tous les secrets de la vie champêtre, et l’on ne peut douter, en le lisant, qu’il n’ait vécu pendant de longues années dans ces bois de chênes, au milieu de ces prairies boisées de bouquets de saules, qu’il se plaît à montrer à ses lecteurs.