Page:Revue des Romans (1839).djvu/541

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une application qui a parfaitement réussi. « Où donc ? demandent les interlocuteurs. — En Utopie. » On presse le voyageur de raconter tout ce qu’il a vu dans cette contrée merveilleuse, et Hythlodus commence son récit. « L’île d’Utopie, dit-il, est située au delà de l’Océan Atlantique. La capitale des cinquante-quatre grandes villes s’appelle Amaurote. La forme du gouvernement est républicaine. Tout s’y fait par élection, même la nomination du souverain, qui n’est qu’un simple magistrat. La seule chose qui le distingue des autres Utopiens, c’est qu’il porte une gerbe de blé à la main en guise de sceptre. Le pontife est le premier personnage de l’île après le roi. L’organisation civile est fondée sur la famille. Chaque famille se compose de quarante personnes, tant hommes que femmes, plus deux esclaves, car il y a des esclaves en Utopie. Pour trente familles il y a un magistrat appelé philarque, dont l’autorité s’étend sur les chefs de ces familles, et pour dix philarques, il y a un magistrat supérieur nommé protophilarque. Ces protophilarques, au nombre de deux cents, et élus pour un an, choisissent, en cas de vacance du trône, le prince, entre deux candidats nommés par le peuple, et forment le conseil du roi qui est en charge. Ce conseil s’assemble tous les trois jours. En cas d’affaires importantes on consulte la nation. Chaque philarque assemble ses trente familles, recueille leur avis, et va le porter au sénat. Ces soixante-deux citoyens, c’est-à-dire trois pour chaque ville, forment le sénat, qui s’assemble tous les ans dans la capitale. On les choisit parmi les vieillards. Toutes les fonctions, soit législatives, soit exécutives, sont annuelles, hormis celle du roi, qui est nommé à vie. Tout appartient à tous, sauf les femmes. Quiconque a besoin d’une charrue, d’un habit, d’un outil de travail, va le demander au magistrat, qui le lui donne. Les voyages se font sans argent ; l’étranger reçoit partout l’hospitalité, mais à la condition de la payer par quelque travail. Tous les citoyens sont obligés de savoir un métier ; le travail est modéré. La journée de l’Utopien se divise en trois parties : six heures pour travailler, dix heures pour se reposer ou pour faire ce qu’il lui plaît, huit heures pour dormir. On dîne en commun, dans de grandes salles où tiennent trente familles de quarante membres. On ne soupe jamais sans musique dans cette île bien heureuse ; les parfums, les cassolettes, les eaux de senteur embaument la salle du festin ; les Utopiens ont pour principe que toute volupté, dont les suites ne sont pas fâcheuses, doit être permise ; ils sont extrêmement sensuels, et disent que tous les plaisirs ont été donnés à l’homme pour en jouir sans en abuser. Le mariage n’a lieu entre fiancés qu’après vérification réciproque de leur état physique. Cette vérification se fait en présence de deux