Page:Revue des Romans (1839).djvu/725

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voulait lui cacher l’existence de son fils : entre la dernière entrevue que Mme d’Avarenne avait eue avec le prince et la nuit qu’elle avait donnée à Jean d’Aspert, six jours seulement s’étaient écoulés, de sorte qu’il était fort aisé de faire croire au premier que le fils du second lui appartenait ; si aisé, que le prince et la famille de la duchesse en étaient persuadés. D’Aspert, après sa découverte, envoya un homme de confiance au-devant de son fils ; mais pour déjouer les trames que pouvait ourdir la duchesse, il ordonna qu’il lui fût amené sous le nom de Charles Dumont, jeune enfant qu’un de ses amis lui avait recommandé et qu’on supposait avoir péri. Sur ces entrefaites, et au moment où le général s’apprêtait à embrasser son fils, une révolte éclate à Rome, et d’Aspert n’a que le temps de fuir. Dix-sept ans se sont écoulés depuis cette époque. Le général d’Aspert habite un bel appartement du faubourg Saint-Honoré. Chez lui habite le docteur Lussay, grand magnétiseur, qui jadis avait choisi, pour ses expériences, une jeune fille nommée Louise, qu’il épousa avant de partir pour l’armée, où il devint chirurgien en chef et baron. Le baron de Lussay, Louise et leur fille Henriette habitent avec d’Aspert, chez lequel vient souvent un certain Premitz, grand magnétiseur. La baronne de Lussay, qui était d’une faible santé, vit bientôt arriver la fin de son existence. Peu de temps avant sa mort, Henriette, qui veillait près de sa mère, se sentit prise par un malaise subit, et près de perdre connaissance, il lui sembla voir devant elle un homme debout qui, lui posant une main sur le front et l’autre sur le cœur, lui dit d’une voix funèbre et irrésistible : « Dormez ! » Henriette ne reprit ses sens qu’au bout de plusieurs heures et demeura longtemps en proie à ce profond engourdissement qui suit le sommeil magnétique. Quelques mois après elle était enceinte. Vous figurez-vous l’étonnement et la douleur de cette jeune fille qui n’a jamais aimé, qui est pure et qui se trouve mère ? Lussay ne sut pas comprendre l’innocence de sa fille dans la franchise de son désespoir ; mais le général d’Aspert fut plus clairvoyant, et pour prouver à Henriette qu’elle n’avait rien perdu de son estime, il lui offrit sa main, et Henriette devint Mme d’Aspert. Le général possédait une usine considérable, gérée par Charles Dumont, auquel d’Aspert portait une tendresse indécise, dans le doute qu’il fût réellement son fils. Charles s’éprit d’une violente passion pour Mme d’Aspert, et celle-ci, bien qu’elle l’aimât, fuyait toutes les occasions de le rencontrer. Charles, qui s’aperçut qu’on l’évitait, chercha de périlleuses distractions à son chagrin, et entra dans une conspiration ; mais un délateur se trouva parmi les conjurés, et Charles fut arrêté. Le commissaire du roi qui présida à l’arrestation, était le baron de Premitz, qui se logea au château