Page:Revue des Romans (1839).djvu/742

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toutes les entraves sociales, et si avide d’hommages, peut-elle faire le bonheur d’un homme sensible, généreux, délicat, et qui attache autant de prix aux vertus privées qu’aux qualités extérieures les plus séduisantes ? Lord Névil, sous le beau ciel de l’Italie et sous le charme de Corinne, ne cesse de porter au fond du cœur l’amour de sa patrie et le souvenir religieux d’un père adoré qui aurait sévèrement réprouvé une alliance étrangère. Son devoir le rappelle en Angleterre, et c’est là qu’il trouve enfin le terme de ses irrésolutions. C’est là que l’auteur a placé la rivale de Corinne, en faisant ressortir la différence des caractères par des oppositions habilement contrastées. La douce et modeste beauté de Lucile Edgermont, cette fraîcheur de jeunesse qui tient encore à l’enfance, cette pureté d’âme, cette fleur d’innocence que le souffle des passions n’a point encore tourmentée, ces penchants vertueux que suppose une naissance distinguée, développés par une éducation un peu sérieuse, on voit que tout cela promet un bonheur tranquille, le bonheur de toute la vie, bien préférable à la brûlante ivresse de quelques instants de délire. C’est le passage d’une atmosphère enflammée à un air doux et suave qui rafraîchit et qui console. En un mot, Corinne était le personnage poétique de l’ouvrage, Lucile en est le personnage moral, et c’est ainsi que l’auteur a trouvé le moyen d’intéresser par des convenances encore supérieures aux beautés de l’art. — Le roman de Corinne est trop connu pour que nous fassions l’analyse des événements qui en composent l’ensemble. Nous observerons seulement certains détails que l’on saisit plus particulièrement à une lecture réfléchie. L’éloge ou la censure ne sauraient qu’y gagner. On a bien plus remarqué, dans l’ouvrage de Mme de Staël, la parti romanesque et sentimentale, que la partie relative à la littérature et aux beaux-arts. Cependant celle-ci contient beaucoup de morceaux remplis d’éloquence, de chaleur et de vérité. Il serait inutile de les citer ici ; nous nous contenterons d’indiquer tous les chants improvisés de Corinne, la description des monuments de Rome, celle du Vésuve et de Pompéia. Mme de Staël ne parle point des arts en termes scientifiques, dont le vain étalage semble insulter à l’ignorance du commun des lecteurs ; elle s’exprime avec le goût et le sentiment du beau et du vrai qui ne sont nullement étrangers à tous ceux qui ont des sensations et des idées. Il y a quelquefois un peu de grandiose dans sa manière, mais c’est Corinne qui parle ; et quand il est question des procédures du génie, on n’est pas choqué de trouver dans les expressions quelque chose de sublime et d’aérien. La littérature de ce pays enchanteur, de cette terre classique qui a conservé en Europe le feu sacré que la décadence de l’empire d’Orient, l’invasion des barbares