Page:Revue des Romans (1839).djvu/746

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fois bizarre, actif et métaphysique, que l’étude des sciences trop diverses a presque rendu fou, et qui veut se conduire dans les affaires ordinaires de la vie d’après les théories absurdes inventées par les pédants des siècles passés. Son caractère contraste avec celui de sa bonne femme, qui ne met jamais obstacle à la marche du dada de son mari, et lui témoigne sans cesse son admiration pour la grâce et la dextérité avec lesquelles il se conduit. Yorick, le gai, le spirituel, le sensible, l’insouciant curé, n’est autre que Sterne lui-même, et on ne peut douter que ce portrait n’ait une grande ressemblance avec l’original. L’oncle Tobie et son fidèle serviteur, les plus délicieux caractères de cet ouvrage, et peut-être d’aucun ouvrage connu, sont peints avec tant de charme, ils ont une individualité si originale, qu’ils font facilement oublier la licence du romancier, qui, en leur faveur, doit être non-seulement absous par la critique, mais même applaudi franchement pour l’énergie et la chaleur qu’il met à plaider la cause de l’humanité, et pour les douces impressions dont le lecteur est redevable de tant de scènes animées d’une tendre bienveillance, jointe aux sentiments d’un vrai courage et d’une simplicité ingénue. Il est inutile de s’étendre davantage sur un ouvrage si généralement connu. Le style de Sterne, quoique bizarrement orné, est toujours vigoureux, plein de cette chaleur et de cette force qui ne s’acquièrent que par une grande familiarité avec les anciens prosateurs anglais. Nul ne l’a surpassé, ni peut-être même égalé dans la peinture des sentiments les plus délicats du cœur. — Les deux premiers volumes de Tristram Shandy parurent en 1759, les tomes 3 et 4 en 1761, les tomes 5 et 6 en 1762, les tomes 7 et 8 en 1765, et le tome 9 en 1767. Le succès des premiers volumes fut acquis aux derniers ; mais le clergé ne fut pas de l’avis du public, et il lança l’anathème contre l’auteur. Sterne ne fit qu’en rire. «  Avez-vous lu mon roman ? demandait-il un jour à une dame de qualité. — Non, monsieur, répondit-elle, et, s’il faut vous parler franchement, on m’assure qu’il n’est pas convenable qu’une femme le lise. — Ma chère dame, répliqua l’écrivain, ne soyez pas dupe de ces contes-là. Mon ouvrage ressemble à cet enfant de trois ans qui se roule maintenant sur le tapis, et qui montre fort innocemment par intervalles, des choses qu’on est dans l’habitude de cacher. »

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STERNE (le comte Maximilien de).


L’ILLUSTRE ESCLAVE, ou la Vie et les Aventures du prince de Salerne (trad. de l’Italien), 1811. — Le prince de Salerne et la princesse Sophie, sa sœur, étaient sur le point de faire des mariages dignes de leur naissance. Les noces de la princesse devaient