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Page:Revue des deux mondes - 1937 - tome 40.djvu/782

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fragments qui lui avaient fait plaisir et qu’il y reviendrait plus sérieusement. Il ne se hâta pas moins de me congédier en m’engageant à choisir un meilleur jour pour le voir.

Jules Sandeau

Ce n’était plus, certes, quand je vis Jules Sandeau, l’élégant cavalier qu’une grande lithographie, suspendue dans le vestibule de son appartement, nous rendait à vingt ans, avec son joli visage ovale aux lignes pures, encadré de longs cheveux blonds bouclés. Les boucles étaient tombées ; l’embonpoint des jours indolents, nonchalants, après la tâche accomplie, l’avait envahi et son teint s’était uniformément et fortement coloré ; le bas du visage reposait sur une rondeur molle et grasse et, s’il se peut dire, abbatiale, où fleurissait d’un rouge vif une lèvre gourmande et déroulée qui faisait plaisir à voir ; mais de cette bouche au sourire épanoui, des yeux bleus encore jeunes et clairs dans leurs paupières un peu meurtries, quel rayonnement, quelle douceur de gai et cordial accueil s’épanchait à chaque rencontre ! Il était la bonté même, la chaude et dévouée obligeance en personne.

Il habitait, au palais de l’Institut[1], le pavillon de droite. La fenêtre du grand cabinet où il recevait donnait sur le quai Conti, d’un côté, et, de l’autre, sur la petite place où s’élève la statue de Voltaire. Il se tenait là, frileusement blotti au coin du feu, fumant une longue pipe à tuyau de merisier. De temps à autre, la sirène d’un remorqueur venait jeter dans l’entretien sa longue plainte stridente ; il levait les bras : « Oh ! ce Paris… » Il n’y avait encore pourtant ni tramways ni autos roulant sous les fenêtres, ébranlant les murs.

Un jour, je le trouvai, toujours fumant et assis dans son coin chaud, avec une petite table basse près de lui, où quelques feuillets impitoyablement raturés s’éparpillaient.

— Cher maître, si je ne suis pas indiscret, vous nous préparez quelque chose ?

— Ce n’est pas pour vous, me dit-il. Je me suis laissé arracher une promesse par Hetzel (il s’agissait d’un livre

  1. [Note RDM]. Jules Sandeau était logé à l’Institut en qualité de bibliothécaire à la Mazarine.