Page:Revue des questions historiques, Tome X, 1871.djvu/303

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lien Jean Villani, qui écrivait au milieu du XIVe siècle, mais qui, mort dans un âge avancé, était un témoin oculaire de ce qui s’était passé depuis le commencement de ce siècle. Villani était de Florence ; il appartenait à une célèbre maison de banque, celle de Petrucci, et avait, dès sa jeunesse, voyagé dans différentes contrées de l’Europe. C’était un esprit curieux et judicieux ; mais il fut souvent réduit à recueillir des bruits plus ou moins fondés, et à accepter comme vrais des faits que nous, qui possédons des éléments de critique qu’il n’avait pas, devons rejeter comme supposés. Or voici ce que raconte Villani à propos de l’élection de Clément V ; ce récit, si on le tient pour vrai, donnera la clé de la conduite de ce Pape et l’explication de sa soumission apparente devant le roi de France.

Le Sacré-Collége était réuni depuis neuf mois à Pérouse ; il ne pouvait s’entendre sur le choix du successeur de Benoît XI. Deux grands partis se partageaient le conclave, les Bonifaciens et les Français, c’est-à-dire ceux qui s’étaient rangés du côté de Boniface VIII et ceux qui, tout en réprouvant l’attentat commis contre ce pontife, voulaient qu’on traitât avec indulgence le roi de France de peur de le pousser à un schisme ; car c’est un fait certain, la conduite de Philippe le Bel à Anagni souleva, dans toute l’Europe et même dans la cour de France, une énergique réprobation. Les chefs du parti français, voyant qu’on n’aboutissait pas, proposèrent une transaction. Les Bonifaciens ou les Italiens, comme on les appelait, désigneraient trois candidats non italiens, parmi lesquels les Français choisiraient celui qui leur agréerait le mieux. Ainsi fut fait. Les Italiens présentèrent trois candidats, dont Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux. Le chef du parti français, le cardinal de Prato, fournit secrètement et avec célérité cette liste à Philippe le Bel et lui demanda son avis, tout en indiquant Bertrand de Got, quoique ennemi du roi, comme un homme avide d’honneur et d’argent, dont il pourrait beaucoup obtenir. Philippe, sans perdre de temps, fixa un rendez-vous à l’archevêque dans un monastère situé au milieu d’une forêt de Saintonge. Ce rendez-vous fut accepté avec empressement. Après une conversation amicale, le roi s’adressant au prélat : « Vois, archevêque, j’ai dans ma main de quoi te faire pape si je veux, et c’est pour cela que je suis venu à toi ; si tu me promets de m’accorder les grâces que je te demanderai, je t’élèverai à cette