Page:Revue des questions historiques, Tome X, 1871.djvu/304

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dignité. Et pour que tu sois bien certain que j’en ai le pouvoir, écoute. » Et il lui montra la lettre et le compromis des deux factions du conclave.

L’archevêque se jeta à ses genoux, fou de joie, lui disant : « Tu n’as qu’à commander : je suis prêt à t’obéir et ce sera toujours ma volonté. »

Philippe lui dit : « Voici les grâces que je te demande :

« 1o Tu me réconcilieras avec l’Église en me donnant l’absolution pour la part que j’ai prise à l’arrestation de Boniface VIII ;

« 2o Tu révoqueras les sentences d’excommunication prononcées tant contre moi que contre mes agents ;

« 3o Tu m’accorderas, pendant cinq ans, le dixième des revenus des ecclésiastiques du royaume ;

« 4o Tu me promets d’abolir et de réduire à rien la mémoire de Boniface ;

« 5o Tu restitueras dans leurs honneurs et dans leurs dignités les cardinaux Jacques et René Colonna, et tu nommeras cardinaux quelques-uns de mes amis.

« Il y a une sixième condition importante que je me réserve de te faire connaître en temps et lieu. »

L’archevêque jura d’obéir, et d’après les ordres du roi le cardinal de Prato le désigna comme Pape.

Tel est le récit de Villani. Au XVe siècle, saint Antonin, archevêque de Florence, n’hésita pas à en admettre l’authenticité, le traduisit en latin et l’inséra dans sa grande chronique ; au XVIIe siècle, Rainaldi lui accorda la même autorité et le transcrivit dans sa continuation des Annales de l’Église du cardinal Baronius. De nos jours l’on s’est montré moins crédule. Il y a vingt-cinq ans, M. l’abbé Lacurie, de Saintes, éleva des doutes sur l’entrevue de Saint-Jean-d’Angély[1] ; ces doutes furent développés par M. Rabanis, professeur à la faculté des lettres de Bordeaux, dans deux mémoires publiés, l’un en 1847, l’autre en 1858[2]. M. Rabanis mit au jour un document considérable qui permettait d’affirmer que Philippe le Bel et Bertrand de

  1. Sa dissertation porte la date de 1846 ; une édition nouvelle fut donnée à Saintes en 1859 (in-8o de 62 pages).
  2. Clément et Philippe le Bel. Lettre à M. Charles Daremberg, sur l’entrevue de Philippe et de Bertrand de Got, à Saint-Jean-d’Angély. Paris, Durand, Didier, 1858, in-8o de 199 pages.