Page:Revue des questions historiques, Tome X, 1871.djvu/580

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plus en plus puissants, d’abord dans la noblesse, puis dans la famille de Jeanne d’Arc, puis chez des princes souverains, jusqu’à ce qu’elle soit sur le point de séduire le Roi lui-même. Les textes qui lui font supposer des fauteurs, des complices, ne nous apprennent rien sur leur qualité ni sur leur mobile. Leur existence n’en est pas moins certaine. Le fil du complot nous échappe : mais, si je ne me trompe, on sent sous ce mystère comme une vague odeur de trahison d’origine anglaise ou bourguignonne. La maison de Luxembourg avait des liens étroits avec Henri VI et Philippe le Bon. Jean de Luxembourg, lieutenant de ce dernier, avait détenu longtemps la vraie Pucelle et avait fini par la vendre aux Anglais. Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne, chancelier du roi d’Angleterre, avait trempé dans les négociations relatives à cette vente et même dans le supplice de l’héroïne. Or, c’est une duchesse de Luxembourg, nièce elle-même du duc de Bourgogne, qui la première patronna la fausse Jeanne, qui la fit connaître, qui la lança, s’il m’est permis d’employer une telle expression. Cette coïncidence renfermerait-elle la clef de l’énigme ? Les partisans du monarque anglais pouvaient avoir quelque intérêt à faire croire que le crime de Rouen n’avait pas été consommé, afin d’atténuer la réprobation publique soulevée contre cet attentat ; ou bien ils avaient besoin de rentrer en grâce auprès de Charles VII, devenu le Victorieux, et ils comptaient y parvenir en lui ramenant son palladium perdu. Dans tous les cas, les instigateurs du complot, quels qu’ils fussent, voulaient avoir dans la main un talisman et s’en servir avec habileté pour obtenir l’influence, les honneurs, la richesse 51. Malheureusement pour eux, l’instrument était mal choisi. Il leur eût fallu, pour tenir un pareil rôle, une maîtresse femme, aussi fine politique que guerrière intrépide : ils n’avaient trouvé qu’une virago vulgaire, qui se laissa étourdir par le succès, entraîner par la licence des camps, et perdit la tête au premier mot du prince à qui elle voulait en imposer. Elle se distingua sans doute en quelques combats ; toutefois, ses hauts faits n’eurent pas l’importance que semble leur attribuer, dans ses Aperçus