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REVUE DU PAYS DE CAUX

geux ; il y a aussi l’ambition de l’égaler et de parvenir au même sommet par la même route.

La progression de l’idée de race est moins aisée à expliquer car c’est là un sentiment primitif que la civilisation devrait atténuer et tendre à diminuer. Ce sont les peuples naissants qui se resserrent en quelque sorte autour de leur type ethnique comme autour d’une forteresse centrale et en défendent l’intégrité comme leur bien le plus précieux. Ce sont eux qui voient dans l’étranger un dangereux barbare, un animal nécessairement ennemi : impressions simples et claires qui caractérisent l’aube de la vie sociale et que la complexité des âges de science et de progrès devrait faire évanouir… et c’est bien ainsi que les choses se passeraient en somme, si avec les idées ne montait le nombre, si en même temps que les cerveaux s’éclairent, ils n’allaient pas se multipliant. Voyez donc combien sont accueillants et tolérants les peuples civilisés quand ils ne se sentent pas à l’étroit sur leur domaine ; les Américains ont de tout temps étalé un naïf orgueil ; leur sol n’en était pas moins bien encore le plus hospitalier du monde et cette hospitalité si large contribuait encore à les rendre fiers d’eux mêmes. C’est à peine s’ils éprouvent aujourd’hui la notion lointaine d’un encombrement possible, et déjà tout change ; ils élèvent des barrières, creusent des fossés ; ils repoussent les émigrants pauvres, ils refusent les Chinois ; ils étendent le régime protectionniste à la population même. Et voilà peut-être un de ces phénomènes auxquels songeait dernièrement Herbert Spencer en prophétisant la « rébarbarisation du monde ». Il est certain que l’internationalisme avec tout ce qu’il comporte de progrès matériels et moraux a pour revers de sa médaille l’exaspération du nationalisme ; les rivalités ne sont plus basées sur la haine de l’étranger comme avant-hier, ni sur les ambitions dynastiques des souverains comme hier, mais bien sur l’appétit des multitudes : chaque gouvernement traîne après soi des masses toujours plus compactes à l’entretien desquelles il doit pourvoir… et c’est pour cela désormais qu’on fera la guerre.

De tous les côtés les races se rejoignent : la seconde moitié du xixe siècle avait vu se réaliser l’unité Allemande et l’unité Italienne : mais c’étaient là des unités politiques plutôt qu’ethniques ; de nos jours le caractère ethnique est bien plus apparent et plus tranché. Les germanophiles d’Autriche ne se demandent pas s’ils n’auraient point intérêt à accepter le fédéralisme plutôt qu’à se