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L’ÉVOLUTION DE LA DÉMOCRATIE

réunir à l’Allemagne ; les Italiens du Tyrol et du Trentin n’examinent pas ce qu’ils peuvent perdre à se joindre à l’Italie ; les Crétois ne pèsent pas le pour et le contre de leur annexion à la Grèce. Les uns et les autres obéissent à des instincts irraisonnés et supérieurs à l’intérêt. Le rapprochement des Anglo-Saxons a surpris tous ceux qui croyaient les oppositions commerciales plus fortes que les liens du sang ; le rapprochement de l’Espagne et de ses anciennes colonies d’Amérique s’opère sans qu’on y soit poussé, de part et d’autre, par l’espérance de grands profits matériels. Et malgré des querelles intestines déjà anciennes, il existe désormais un scandinavisme ambitieux et agissant. La plus extraordinaire est encore la Pologne, martyrisée à tant de reprises, coupée en trois depuis plus d’un siècle et plus Polonaise qu’elle ne fut jamais.


Hasard ou Providence ?

Cette évolution de la démocratie est-elle un fait providentiel ? Et par providentiel nous entendons ici non point une intervention de la volonté divine, ce qui est le sens religieux, mais une de ces fatalités historiques qui résultent d’un ensemble de circonstances et de faits tendant manifestement au même but. On ne peut pas le prétendre. L’évolution que nous examinons n’est pas logique ; elle n’était pas nécessaire ; elle découle directement de l’institution en 1866 d’un germanisme impérial qui aurait pu ne pas naître. L’unité de l’Allemagne, œuvre fatale et nécessaire, pouvait fort bien s’opérer pacifiquement et libéralement au lieu de s’opérer par le sang et la bataille ; la meilleure preuve en est que ce résultat faillit être atteint en 1848 et que le refus du roi de Prusse d’accepter la couronne impériale que les Allemands lui offraient alors, fit seul échouer un plan à la fois grandiose et paisible. Si l’entreprise du parlement de Francfort avait abouti, toute l’histoire ultérieure de l’Europe, toute la physionomie de la seconde partie du xixe siècle et des débuts du xxe s’en fussent trouvées modifiées ; le monde auquel on n’eut point imposé le revêtissement d’armures qui l’a si complètement transformé, s’orientait dans une voie différente…