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Page:Revue du Pays de Caux n2 mai 1902.djvu/12

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REVUE DU PAYS DE CAUX

Le couronnement du roi d’Angleterre, tel qu’il va avoir lieu, est une cérémonie vide de sens. Que Nicolas ii, monarque à demi oriental, demeure fidèle aux vieux rites moscovites, c’est tout simple. Mais ce que Guillaume ii, très amoureux pourtant de pompe impériale, n’aurait point osé faire, ce que Victor Emmanuel iii n’a même pas songé à réclamer, pourquoi Édouard vii, qui devient roi à un âge avancé, a-t-il la futilité de le vouloir ? L’empereur d’Allemagne et le roi d’Italie sont montés sur le trône, tout simplement, en uniforme, l’épée au côté et se sont mis aussitôt à la besogne : ce sont les souverains qui conviennent à l’âge de la démocratie et de l’activité ; toujours sur la brèche, ils sont les premiers travailleurs du pays. Et parce qu’ils n’ont pas réclamé, l’un la remise solennelle du globe impérial surmonté de la croix, l’autre que l’on posât sur sa tête l’antique couronne de fer des rois Lombards, ils n’en sont pas moins recouverts de tout le prestige que leur confèrent, à la fois, la grandeur de leur dignité et le passé de leur race. Édouard vii a d’autres soucis. Son sacre est, depuis plusieurs mois, l’unique objet de ses préoccupations ; il décrète l’aunage d’hermine des pairs et pairesses d’après leurs quartiers de noblesse ; il restaure tout ce qu’il trouve dans les vieux parchemins de pratiques surannées et d’enfantines génuflexions. Il a réussi évidemment à intéresser son peuple à ces niaiseries ; l’heure était propice d’ailleurs ; l’Angleterre cherchait avidement une distraction nécessaire, après tant de deuils. Reste à savoir ce qu’en penseront les sujets lointains de ce monarque à pourpre. Vu d’Auckland ou d’Adelaïde, le spectacle pourrait bien présenter plus de ridicule que de prestige. L’Opinion étrangère, en tous les cas, n’est pas du côté du nouveau roi. C’est avec un profond sentiment de respect, avec une intense émotion que le monde s’associa, en 1887 et en 1897, aux fêtes merveilleuses qui honoraient la reine Victoria. La grande et noble souveraine recueillit, en ces jours inoubliables, l’hommage mérité de toutes les nations ; on ne saluait pas seulement l’extraordinaire durée de son règne, mais les vertus publiques et privées dont elle n’avait cessé, pendant cinquante et soixante ans, de donner le bel exemple. La même unanimité ne se retrouvera plus : les étrangers regarderont passer le cortège archaïque de 1902 avec une curiosité amusée et un sourire d’ironie.