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JULES SIMON

vèrent en quelque sorte consacrées les idées qu’il avait formulées ; lorsque le dernier protocole eut été signé, l’impératrice d’Allemagne dit au représentant de la France cette gracieuse parole : « Monsieur Jules Simon, voici l’Europe qui a mis sa signature au bas de l’Ouvrière ». On ne pouvait mieux exprimer combien les doctrines exposées dans ce livre célèbre avaient fait de chemin dans les esprits depuis le jour où il avait paru.


iii


Des trois termes de sa devise, le premier n’était pas celui auquel Jules Simon était le moins attaché, mais celui dont il parlait le moins. Sa crainte extrême de paraître prendre parti dans une des nombreuses querelles confessionnelles qui agitaient ses concitoyens le rendait sur ce point d’une réserve presque exagérée. Il se contentait de proclamer Dieu par cette devise même et s’enfermait pour le définir dans les profondeurs de sa conscience. On en a conclu trop généralement que ce Dieu n’était pour lui qu’une vague représentation, un Dieu sans contours et sans réalité. Cette manière de voir est tout à fait erronée ; le déisme de Jules Simon fut plus solide à l’épreuve et gouverna plus fortement sa conduite et ses pensées que maint confessionnalisme enchâssé dans les rites et les scrupules ; il était de ces grands esprits qui résident à des hauteurs proches de la Divinité et n’ont besoin ni de faire un geste pour se forcer à la prière ni de s’exciter à la vertu par la dévotion.

La forme la plus usuelle par laquelle se traduisait le patriotisme de Jules Simon était son dévouement à l’armée. À l’exception de Gambetta, aucun Français n’a su trouver depuis trente ans, pour parler de l’armée nationale, d’accents aussi pathétiques ; il l’exaltait en toute circonstance et ne manquait point surtout, lorsqu’il s’adressait à des lycéens, de leur présenter leur futur séjour à la caserne comme une période d’honneur et de salutaire effort à laquelle ils devaient consacrer tout leur entrain et toute leur bonne volonté. Quand il parlait ainsi, son ardeur juvénile était telle que l’on sentait en lui comme un regret de ne pouvoir échanger sa plume laborieuse contre un belliqueux « flingot ». Il eut fait un admirable soldat dont l’abnégation et l’esprit de discipline auraient été portés presque à l’excès.