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DU BASSIN DE L’EURE À BOWLING GREEN

Villers… Des bateaux de pêche parsèment l’horizon ; un grand trois-mâts portant le pavillon Norvégien se dirige vers les jetées et tout près de la Bretagne passe un vapeur de plaisance, astiqué avec un soin méticuleux. Tout cela est ravissant, mais la cloche du déjeuner vient de sonner et comme il n’est pas question d’être malade par ce beau temps, chacun se précipite vers l’escalier ; la grande salle à manger se trouve envahie en un clin d’œil.


Lundi, 1er septembre.

J’ai déjà pris mes habitudes et le roulis qui est très fort depuis hier soir ne parvient pas à m’en faire changer. Toute autre est l’attitude de mon Italien, plus jaune maintenant que les rayures de son fameux costume. Le matin à 7 heures, on vient frapper à ma porte. C’est l’heure du bain. Je le prends dans une grande baignoire de marbre blanc dont les bords sont très hauts. L’eau qui ne la remplit qu’à moitié se porte d’un côté, puis de l’autre, me laissant à sec périodiquement tandis que mes vêtements accrochés à la cloison exécutent des révérences sans fin. C’est l’un des effets les plus curieux du roulis. De la salle de bain, je me rends à la salle à manger où l’on me sert du chocolat et des petites brioches exquises. Il paraît que ces brioches constituent l’un des atouts de la Compagnie. Un honorable Anglo-Saxon avec qui j’ai lié connaissance m’a déclaré qu’il prendrait plus volontiers « le ligne onglaise parcé qué les capitaines onglais avaient le tête plus froide dans lé danger, mais qu’il prénait le ligne fronçaise parcé qué les brioches étaient bons ». Le motif n’est peut-être pas d’un ordre très élevé, mais qu’importe ! Après les brioches, je monte sur le pont. Sa toilette est faite ; il est propre et luisant et généralement assez désert. Quelques personnes accomplissent leur promenade de santé et trouvent moyen de faire plusieurs kilomètres sur les planches en zigzagant un peu par exemple, car ces planches prennent des inclinaisons gênantes sous l’action de ces houles énormes de l’Atlantique dont rien sur nos côtes ne peut donner l’idée. À côté de moi passe un petit ouragan, vêtu d’une vareuse et coiffé d’une casquette de yachtman. « C’d’ morning, Sir » ! marmotte-t-il entre ses dents. C’est un Américain mince, sec, nerveux qui a toujours l’air de posséder un brasero intérieur. Peu à peu, les fauteuils pliants font leur apparition. Les pères de famille en installent une ribambelle qu’ils attachent tant bien que mal les uns aux autres. Ces fauteuils sont