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peut vendre deux fois moins cher que ses concurrents pour les ruiner et rester maître du champ de bataille, il le fait. Mais lorsqu’à la place de ce particulier se trouve le pouvoir lui-même, la question change de face. Le pouvoir, celui que nous voulons, aura-t-il quelque intérêt à bouleverser l’industrie, à ébranler toutes les existences ? Ne sera-t-il point, par sa nature et sa position, le protecteur-né, même de ceux à qui il fera, dans le but de transformer la société, une sainte concurrence ? Donc, entre la guerre industrielle qu’un gros capitaliste déclare aujourd’hui à un petit capitaliste, et celle que le pouvoir déclarerait, dans notre système, à l’individu, il n’y a pas de comparaison possible. La première consacre nécessairement la fraude, la violence et tous les malheurs que l’iniquité porte dans ses flancs : la seconde serait conduite sans brutalité, sans secousses, et de manière seulement à atteindre son but, l’absorption successive et pacifique des ateliers individuels par les ateliers sociaux. Ainsi, au lieu d’être, comme le sont aujourd’hui les gros capitalistes, le maître et le tyran du marché, le gouvernement en serait le régulateur. Il se servirait de l’arme de la concurrence, non pas pour renverser violemment l’industrie particulière, ce qu’il serait intéressé par dessus tout à éviter, mais pour l’amener insensiblement à composition. Bientôt, en effet, dans toute sphère d’industrie où un atelier social aurait été établi, on verrait accourir vers cet atelier, à cause des avantages qu’il présenterait aux sociétaires, travailleurs et capitalistes. Au bout d’un certain temps, on verrait se produire, sans usurpation, sans injustice, sans désastres irréparables, et au profit du principe de l’association, le phénomène qui, aujourd’hui, se produit si déplorablement, et à force de tyrannie, au profit de l’égoïsme individuel. Un industriel très riche, aujourd’hui, peut, en frappant un grand coup sur ses rivaux, les laisser morts sur la place, et monopoliser toute une branche d’industrie : dans notre système, l’État se rendrait maître de l’industrie peu à peu, et, au lieu du monopole, nous aurions, comme résultat du succès obtenu, la défaite de la concurrence : l’association.

Supposons le but atteint dans une branche particulière d’industrie ; supposons les fabricants de machines, par exemple, amenés à se mettre au service de l’État, c’est-à-dire à se soumettre aux principes du règlement commun. Comme une même industrie ne s’exerce pas toujours au même lieu, et qu’elle a différents foyers, il y aurait lieu d’établir, entre tous les ateliers appartenant au même genre d’industrie, le système d’association établi dans chaque atelier particulier. Car il serait absurde, après avoir tué la concurrence entre individus, de la laisser subsister entre corporations. Il y aurait donc dans chaque sphère de travail que le gouvernement serait parvenu à dominer, un atelier central dont relèveraient tous les autres, en qualité d’ateliers supplémen-