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Page:Revue fantaisiste numéros 1 à 6, 1861.djvu/161

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— Monsieur, me dit-il après les avoir consultées, il est évident que vous adorez les marionnettes et que vous détestez les commissaires.

— Maître, repris-je, vous n’avez pas eu, entre nous, beaucoup de peine à deviner cela. Il y a là-bas certaine baraque de bateleurs devant laquelle vous avez pu me voir, comme tout le monde, faire éclater une grande admiration pour les prouesses de Polichinelle, et ma grande joie quand il assomme le commissaire. »

Le devin poursuivit sans se déconcerter :

— Vous êtes républicain et amoureux.

— Maître, vous devez savoir, vous qui savez tout, que dans le pays latin, où j’ai droit de bourgeoisie, je m’en vante, tout le monde est amoureux et républicain à la rage : c’est l’effet du climat, comme dirait Shakespeare.

— Je puis, monsieur, si vous le désirez, vous donner le signalement de votre objet.

— Quel objet ?

— Dame ! puisque vous êtes amoureux.

— Ah ! c’est juste. Pardon, je n’avais pas compris d’abord. Voyons, parlez-moi de cet objet.

— La particulière, monsieur, est très petite, très brune, très pâle et très sage. »

Pour le coup, je perdis l’envie de plaisanter, car la particulière était exactement tout cela.

— Et où se trouve-t-elle en ce moment ?

— Pas très loin d’ici. »

Je me rappelai, en effet, que c’était le jour de répétition au théâtre voisin. Oh ! alors, je revins complètement de mes préventions contre la sorcellerie en plein vent ; et parodiant sans penser à mal une scène de Henri III, la pièce en vogue alors : « Mon père, mon père, dis-je au Ruggieri déguenillé, j’ai là cinquante-quatre sous dans ma bourse ; tout cet or est à vous !!! Mais, de grâce, encore un mot : dois-je espérer, ou mourir ? » Il battit ses cartes, les retourna dans tous les sens, puis prononça ces paroles cabalistiques qui depuis résonnent sans cesse à mon oreille : « Les cartes sont bonnes ; la dame de cœur a la tête en bas : espérez ! »