arrondissant les angles. Comme on commence toujours par avoir les idées des autres, le jeune publiciste adopte le « positivisme » à la mode, il garde toujours un grand respect pour Auguste Comte, il aime le vocabulaire de la « science expérimentale » ; il est fasciné par « l’évolution », et par toutes les théories des disciples de Darwin. Mais de tout cela il ne retient, en fort logicien, que les lignes générales, les « lois », l’aspect universel. L’admiration du critique pour « la réduction à l’universel » des grands classiques répondra à un besoin de son propre esprit. Il généralise les résultats des sciences, et dédaigne trop les faits spéciaux et incolores pour s’adonner lui-méme à quelque spécialité. Pas plus qu’il n’est devenu « normalien », il ne s’est fait ni anatomiste ni philologue. Il sera critique, rien que critique, et critique dans la plus vaste acception du terme.
L’histoire de la littérature doit être autre chose qu’une enfilade de biographies, de notices bibliographiques, d’analyses psychologiques. Elle doit nous dire selon quelles règles, quelles lois, les esprits et les œuvres se transforment, « évoluent », puisque c’est le mot et le dogme de l’époque. Et suivant qu’un ouvrage sera conforme ou non à la règle adoptée, à la méthode suivie, honneur à lui ou malédiction ! Investi d’un sacerdoce austère, le critique attend les auteurs à l’œuvre, il appliquera son système avec énergie, il combattra vigoureusement tout ce qui s’y oppose. Le nôtre est armé d’un don rare de polémique, et son verdict devient redoutable. Il a été critique avant d’être historien, et il a porté des coups formidables à des idoles récentes.
Le naturalisme régnait, le réalisme était le mot d’ordre dans l’art. Zola et ses disciples décrivaient longuement, minutieusement, les fabriques, les halles et les choses que jusqu’alors la littérature française avait soigneusement et décemment ignorées. Brunetière déclara la guerre aux maniaques réalistes et naturalistes. Il osa trouver que les longues descriptions de Salammbô ne sont pas plus justifiées que celles du Grand Cyrus et de Clélie, que Flaubert n’est pas plus infaillible que Mlle de Scudéry ; tandis que la plupart entouraient toutes les œuvres du « styliste » de la même admiration béate, il déclara que Madame Bovary avait été le premier, mais aussi le dernier chef-d’œuvre