On lui a reproché des maladresses, surtout dans les surprenantes et complexes Durchführungen, de ses énormes premiers mouvements de symphonie, et ce sont les mêmes gens qui se pâment d’admiration devant la sèche rhétorique de Brahms. Bruckner était tout aussi savant en contrepoint que Brahms, mais il n’avait pas de curiosité d’archéologue : il ne lui serait jamais venu à l’esprit de pasticher la passacaille de Bach dans un finale de symphonie, ni d’écrire des variations sur un thème d’Haydn. Il s’épanchait dans son œuvre et ne s’exerçait pas à des formules mortes ; il avait bien autre chose à faire : exprimer le trop-plein d’amour et d’enthousiasme dont son cœur débordait, se donner toute la joie musicale qu’il était capable d’éprouver. C’était l’esprit se bâtissant un corps ; l’âme se créant un domaine préparatoire au Paradis. Ah ! celui-là ne faisait ni mathématiques, ni mécanique, ni horlogerie, ni orfèvrerie. Mais il faisait sa prière. Il a le lyrisme épique. Il lui faut les grandes proportions, tout l’espace possible, car il a tant à dire. Il n’a jamais fini de raconter encore et encore ce que les beaux thèmes signifient. Il porte un monde intérieur dont il aspire à communiquer la splendeur à ses frères. C’est d’une bien autre importance que de collectionner des curiosités de forme, des petites finesses de métier, des roueries archaïques, de se créer un vocabulaire difficile et d’aligner de petits fragments de soi sous diverses rubriques, au lieu de vivre une belle vie de chêne ou de fleuve. Bruckner auprès de Brahms c’est le grand souffle de Victor Hugo auprès de la patiente émaillerie cloisonnée de Théophile Gautier ; c’est surtout le beau chevalier de Wagner auprès des Maîtres Chanteurs ; mais si Hanslick remplace Beckmesser, c’est Dieu qui remplace Eva !
J’ai dit la bonne humeur de fête populaire de ses scherzos ; il faudrait célébrer d’une tout autre façon ses andante, ses adagio. On l’a dit : la passion sous forme de repos. Et s’évaguant dans des paysages aux multiples plans avec des échappées subites sur des lointains radieux et d’intimes rêveries sous bois. C’est ici que le parallèle avec Brahms devient passionnant. Rien de plus étriqué que l’andante de Brahms auprès de celui de Bruckner. Presque pas de paysage chez l’un ; partout l’état d’âme éprouvé dans de