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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

I. — Introduction.

Les principes généraux de la Dynamique, qui ont, depuis Newton, servi de fondement à la Science physique et qui paraissaient inébranlables, sont-ils sur le point d’être abandonnés ou tout au moins d’être profondément modifiés ? C’est ce que bien des personnes se demandent depuis quelques années. La découverte du radium aurait, d’après elles, renversé les dogmes scientifiques que l’on croyait les plus solides : d’une part, l’impossibilité de la transmutation des métaux ; d’autre part, les postulats fondamentaux de la Mécanique. Peut-être s’est-on trop hâté de considérer ces nouveautés comme définitivement établies et de briser nos idoles d’hier ; peut-être conviendrait-il, avant de prendre parti, d’attendre des expériences plus nombreuses et plus probantes. Il n’en est pas moins nécessaire, dès aujourd’hui, de connaître les doctrines nouvelles et les arguments, déjà très sérieux, sur lesquels elles s’appuient.

Rappelons d’abord en quelques mots en quoi consistent ces principes :

A. Le mouvement d’un point matériel isolé et soustrait à toute force extérieure est rectiligne et uniforme ; c’est le principe d’inertie : pas d’accélération sans force ;

B. L’accélération d’un point mobile a même direction que la résultante de toutes les forces auxquelles ce point est soumis ; elle est égale au quotient de cette résultante par un coefficient appelé masse du point mobile.

La masse d’un point mobile, ainsi définie, est une constante ; elle ne dépend pas de la vitesse acquise par ce point ; elle est la même si la force, étant parallèle à cette vitesse, tend seulement à accélérer ou à retarder le mouvement du point, ou si, au contraire, étant perpendiculaire à cette vitesse, elle tend à faire dévier ce mouvement vers la droite, ou la gauche, c’est-à-dire à courber la trajectoire ;

C. Toutes les forces subies par un point matériel proviennent de l’action d’autres points matériels ; elles ne dépendent que des positions et des vitesses relatives de ces différents points matériels.

En combinant les deux principes B et C, on arrive au principe du mouvement relatif, en vertu duquel les lois du mouvement d’un système sont les mêmes soit que l’on rapporte ce système à des axes fixes, soit qu’on le rapporte à des axes mobiles animés d’un mouvement de translation rectiligne et uniforme, de sorte qu’il est impossible de distinguer le mouvement absolu d’un mouvement relatif par rapport à de pareils axes mobiles ;

D. Si un point matériel A agit sur un autre point matériel B, le corps B réagit sur A, et ces deux actions sont deux forces égales et directement opposées. C’est le principe de l’égalité de l’action et de la réaction, ou, plus brièvement, le principe de réaction.

Les observations astronomiques, les phénomènes physiques les plus habituels, semblent avoir apporté à ces principes une confirmation complète, constante et très précise. C’est vrai, dit-on maintenant, mais c’est parce qu’on n’a jamais opéré qu’avec de faibles vitesses ; Mercure, par exemple, qui est la planète la plus rapide, ne fait guère que 100 kilomètres par seconde. Cet astre se comporterait-il de la même manière, s’il allait mille fois plus vite ? On voit qu’il n’y a pas encore lieu de s’inquiéter ; quels que puissent être les progrès de l’automobilisme, il s’écoulera encore longtemps avant qu’on doive renoncer à appliquer à nos machines les principes classiques de la Dynamique.

Comment donc est-on parvenu à réaliser des vitesses mille fois plus grandes que celles de Mercure, égales, par exemple, au dixième et au tiers de la vitesse de la lumière, ou se rapprochant plus encore de cette vitesse ? C’est à l’aide des rayons cathodiques et des rayons du radium.

On sait que le radium émet trois sortes de rayons, que l’on désigne par les trois lettres grecques α, β, γ ; dans ce qui va suivre, sauf mention expresse du contraire, il s’agira toujours des rayons β, qui sont analogues aux rayons cathodiques.

Après la découverte des rayons cathodiques, deux théories se trouvèrent en présence : Crookes attribuait les phénomènes à un véritable bombardement moléculaire ; Hertz, à des ondulations particulières de l’éther. C’était un renouvellement du débat qui avait divisé les physiciens il y a un siècle à propos de la lumière ; Crookes reprenait la théorie de l’émission, abandonnée pour la lumière ; Hertz tenait pour la théorie ondulatoire. Les faits semblent donner raison à Crookes.

On a reconnu, en premier lieu, que les rayons cathodiques transportent avec eux une charge électrique négative ; ils sont déviés par un champ magnétique et par un champ électrique ; et ces déviations sont précisément celles que produiraient ces mêmes champs sur des projectiles animés d’une très grande vitesse et fortement chargés d’électricité. Ces deux déviations dépendent de