Page:Revue générale des sciences pures et appliquées, année 19, numéro 9, 15 mai 1908.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
389
HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

les voir dans des rôles bien différents, et ce sont eux qui nous rendront compte des principaux phénomènes de l’Optique et de l’Électricité. La brillante synthèse dont nous allons dire un mot est due à Lorentz.

La matière est tout entière formée d’électrons portant des charges énormes et, si elle nous semble neutre, c’est que les charges de signe contraire de ces électrons se compensent. On peut se représenter, par exemple, une sorte de système solaire formé d’un gros électron positif, autour duquel graviteraient de nombreuses petites planètes qui seraient des électrons négatifs, attirés par l’électricité de nom contraire qui charge l’électron central. Les charges négatives de ces planètes compenseraient la charge positive de ce Soleil, de sorte que la somme algébrique de toutes ces charges serait nulle.

Tous ces électrons baigneraient dans l’éther. L’éther serait partout identique à lui-même, et les perturbations s’y propageraient suivant les mêmes lois que la lumière ou les oscillations hertziennes dans le vide. En dehors des électrons et de l’éther, il n’y aurait rien. Quand une onde lumineuse pénétrerait dans une partie de l’éther où les électrons seraient nombreux, ces électrons se mettraient en mouvement sous l’influence de la perturbation de l’éther, et ils réagiraient ensuite sur l’éther. C’est ainsi que s’expliqueraient la réfraction, la dispersion, la double réfraction et l’absorption. De même, si un électron se mettait en mouvement pour une cause quelconque, il troublerait l’éther autour de lui et donnerait naissance à des ondes lumineuses, ce qui expliquerait l’émission de la lumière par les corps incandescents.

Dans certains corps, les métaux par exemple, nous aurions des électrons immobiles, entre lesquels circuleraient des électrons mobiles jouissant d’une entière liberté, sauf celle de sortir du corps métallique et de franchir la surface qui le sépare du vide extérieur, ou de l’air, ou de tout autre corps non métallique. Ces électrons mobiles se comportent alors, à l’intérieur du corps métallique, comme le font, d’après la théorie cinétique des gaz, les molécules d’un gaz à l’intérieur du vase où ce gaz est renfermé. Mais, sous l’influence d’une différence de potentiel, les électrons mobiles négatifs tendraient à aller tous d’un côté, et les électrons mobiles positifs de l’autre. C’est ce qui produirait les courants électriques, et c’est pour cela que ces corps seraient conducteurs. D’autre part, les vitesses de nos électrons seraient d’autant plus grandes que la température serait plus élevée, si nous acceptons l’assimilation avec la théorie cinétique des gaz. Quand un de ces électrons mobiles rencontrerait la surface du corps métallique, surface qu’il ne peut franchir, il se réfléchirait, comme une bille de billard qui a touché la bande, et sa vitesse subirait un brusque changement de direction. Mais, quand un électron change de direction, ainsi que nous le verrons plus loin, il devient la source d’une onde lumineuse, et c’est pour cela que les métaux chauds sont incandescents.

Dans d’autres corps, les diélectriques et les corps transparents, les électrons mobiles jouissent d’une liberté beaucoup moins grande. Ils restent comme attachés à des électrons fixes qui les attirent. Plus ils s’en éloignent, plus cette attraction devient grande et tend à les ramener en arrière. Ils ne peuvent donc subir que de petits écarts ; ils ne peuvent plus circuler, mais seulement osciller autour de leur position moyenne. C’est pour cette raison que ces corps ne seraient pas conducteurs ; ils seraient d’ailleurs le plus souvent transparents, et ils seraient réfringents parce que les vibrations lumineuses se communiqueraient aux électrons mobiles, susceptibles d’oscillation, et qu’il en résulterait une perturbation.

Je ne puis donner ici le détail des calculs ; je me bornerai à dire que cette théorie rend compte de tous les faits connus, et qu’elle en a fait prévoir de nouveaux, tels que le phénomène de Zeeman.

V. — Conséquences mécaniques.

Maintenant, nous pouvons envisager deux hypothèses : 1o  Les électrons positifs possèdent une masse réelle, beaucoup plus grande que leur masse fictive électromagnétique ; les électrons négatifs sont seuls dépourvus de masse réelle. On pourrait même supposer qu’en dehors des électrons des deux signes, il y a des atomes neutres qui n’ont plus d’autre masse que leur masse réelle. Dans ce cas, la Mécanique n’est pas atteinte ; nous n’avons pas besoin de toucher à ses lois ; la masse réelle est constante ; seulement les mouvements sont troublés par les effets de self-induction, ce qu’on a toujours su ; ces perturbations sont d’ailleurs à peu près négligeables, sauf pour les électrons négatifs, qui, n’ayant pas de masse réelle, ne sont pas de la vraie matière.

2o  Mais il y a un autre point de vue ; on peut supposer qu’il n’y a pas d’atome neutre, et que les électrons positifs sont dépourvus de masse réelle au même titre que les électrons négatifs. Mais alors, la masse réelle s’évanouissant, ou bien le mot masse n’aura plus aucun sens, ou bien il faudra qu’il désigne la masse fictive électromagnétique ; dans ce cas, la masse ne sera plus constante, la masse transversale ne sera plus égale à la masse longitudinale, les principes de la Mécanique seront renversés.