Aller au contenu

Page:Revue générale des sciences pures et appliquées T. 27-1916.djvu/436

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
426
L.-Fernandez NAVARRO. — L’ÉTAT ACTUEL

Oviedo, l’Atlantide et l’Amérique sont une même chose.

Bory de Saint-Vincent est le premier qui ait traité la question d’une manière scientifique[1]. Se fondant sur ses études de Géographie et de Sciences naturelles et sur des raisons alors très judicieuses, bien que les progrès scientifiques leur aient fait perdre de valeur, il admet la réalité du récit de Platon. Pour lui, les Canaries sont les antiques Hespérides, le Teyde n’est pas autre chose que le fameux Mont Atlas, et les Guanches, habitants primitifs de ces îles, descendent directement des Atlantes. Tous les groupes d’archipels de l’Atlantique nord : Açores, Madère, Salvajes, Canaries et Cap-Vert, ont formé autrefois, pour Saint-Vincent, un pays fertile compris entre les 12e et 41e degrés de latitude N. Une curieuse carte conjecturale de l’Atlantide, dont l’auteur n’ose pas fixer les limites occidentales, traduit graphiquement ses conclusions.

On peut dire que les opinions de Saint-Vincent firent époque, et il faut arriver à des temps bien postérieurs pour voir se renouveler les points de vue d’où le problème avait été scruté. Entre temps, les études sur l’Atlantide n’ont pas manqué ; mais ce sont exclusivement des interprétations ethnographiques de légendes, travaux de pure fantaisie presque toujours, qui n’ont fait qu’embrouiller la question. Mentionnons-en deux comme exemples.

L’Américain Donnelly[2] croit en une civilisation bien antérieure aux Atlantes, d’où les peuples connus les plus anciens auraient reçu tous leurs enseignements. Pour prouver l’existence de l’Atlantide, il recherche le témoignage de la mer, de la flore et de la faune, croyant rencontrer le récit de la catastrophe qui détruisit cette terre dans les légendes du Déluge communes à l’Ancien et au Nouveau Monde. Il décrit, comme s’il venait de le parcourir, le continent atlantique — avec sa carte — énumère les colonies de cet empire du Mexique à l’Égypte et de l’Irlande à l’Afrique équatoriale, et conclut en demandant que les escadres oisives soient employées à essayer de retirer des fonds océaniques les merveilles qui sans doute furent ensevelies avec la fameuse île.

Le Français Berlioux[3] parle avec une assurance non moins admirable de la nation atlante. Pour lui, il n’a pas existé un empire océanique proprement dit, mais le territoire de l’Atlantide s’enracinait dans l’Atlas africain, et la nation qui l’habitait a vécu avec les peuples de l’Attique, de la Tyrrhénie, de l’Égypte et de la Phénicie jusqu’aux siècles proches de notre ère. De l’Atlas ce peuple combatif — qui à la fin fut détruit par la guerre — s’irradia non seulement dans tout le monde alors connu, mais encore en Amérique, où le conduisait une voie maritime, celle des alizés, qui, passant par les Îles Fortunées, se terminait sur les côtes mexicaines.

Quelques années après, le géographe italien Borsari[4] sapait par une critique raisonnée les interprétations fantaisistes et revenait à l’étude scientifique du sujet.

Il recueille les opinions des géologues espagnols sur l’ancienne extension de notre péninsule, ainsi que l’opinion de Verneau sur les Canaries, d’après lequel ces îles, loin de représenter des terres affaissées, sont le résultat du soulèvement de strates submergées sous la mer. Il considère l’analogie des faunes et des flores tertiaires de l’Amérique et de l’Europe et profite des conséquences tirées par W. Kobelt de l’étude des faunes des îles atlantiques. De l’ensemble, il déduit l’existence indubitable d’une Atlantide mésozoïque et d’une communication terrestre entre l’Europe et l’Amérique pendant l’ère tertiaire ; mais, jusqu’à présent, il est impossible de prouver que la terre atlantique discutée a existé au Quaternaire et encore moins à l’époque préhistorique et historique.

La brève étude de Borsari résume magistralement ce qu’on pouvait dire alors sur ce sujet, et c’est une étape de laquelle il convient de partir pour apprécier les travaux postérieurs qui ont remis sur le tapis le problème de l’Atlantide[5].

  1. Bory de Saint-Vincent : Essais sur les Îles Fortunées et l’antique Atlantide. Paris, Baudouin, germinal an IX.
  2. J. Donnelly: The antediluvian World. New-York, 1882.
  3. E. F. Berlioux : Les Atlantes. Histoire de l’Atlantis et de l’Atlas primitif. Paris, E. Leroux, 1883.
  4. F. Borsari : L’Atlantide. Saggio di Geografia preistorica. « La Rinascenza », Naples, 1889.
  5. Quelques auteurs espagnols avaient également abordé le problème à cette époque. Pour P. de Novo y Colson (Ultima teoría sobre la Atlantida. Bol. de la R. Soc. Geografica de Madrid, t. VII ; 1879), l’Atlantide serait le banc aujourd’hui submergé qui supporte les Açores, de dimensions comparables à la Péninsule ibérique, abîmé par un tremblement de terre qui commença aux Canaries, les séparant de l’Afrique, et se fit sentir également en Amérique, où la légende de la catastrophe a laissé quelques traces. L’Atlantide aurait été peuplée par des êtres venant d’Amérique, conduits par le Gulf Stream, qui les aurait empêchés de revenir. — F. de Botella, dans ses « Apuntes paleográficos » Bol. de la R. Soc. Geografica de Madrid, t. XV ; 1884), conclut, en s’appuyant sur des arguments intéressants qui n’ont rien perdu de leur valeur, que la disparition de l’Atlantide a dû avoir lieu vers le Quaternaire moyen. — Enfin D. Salvador Calderon, le géologue qui s’est le plus occupé de l’étude des Canaries, a considéré dans plusieurs de ses travaux le problème des terres atlantiques préhistoriques (Anales de la Soc. esp. de Historia natural, t. IV : 1875 ; Actas…, t. XIII ; 1884). De même que Botella, il a toujours défendu les points de vue les plus actuels par de solides raisons d’ordre géologique, qui demeurent. — Le problème a donc intéressé aussi les Espagnols, et leurs opinions ont toujours compté parmi les plus discrètes et les mieux documentées.