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Page:Revue générale des sciences pures et appliquées T. 27-1916.djvu/437

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DU PROBLÈME DE L’ATLANTIDE

II

Passant à l’étude de l’état actuel de la question, nous commencerons par examiner les enseignements de la Zoologie et de la Botanique.

Il ne paraît pas douteux que les continents aujourd’hui séparés par l’Atlantique furent réunis aux âges les plus anciens de l’histoire de notre planète, et que c’est seulement à une époque récente, géologiquement parlant, qu’ont dû s’effondrer sous les eaux les ponts qui se tendaient entre l’Ancien et le Nouveau Monde.

Robert F. Scharff, étudiant comparativement les faunes terrestres européennes et américaines et leurs relations avec celles des périodes géologiques antérieures, a conclu que la connexion entre l’Amérique du Sud et l’Afrique est anté-tertiaire, tandis que la communication terrestre entre l’Europe et l’Amérique du Nord est indubitablement tertiaire. Cette communication devait exister aussi bien entre les Antilles et la région méditerranéenne qu’entre le Canada et l’Europe baltique. Il pense que certaines espèces autochtones du Groenland, comme l’Helix hortentis, se sont répandues alors en Europe d’une part, en Amérique de l’autre.

Presque tous les zoologistes qui se sont occupés plus spécialement de la distribution géographique des espèces et de leurs corrélations génétiques avec les faunes disparues ont abondé, depuis, dans les idées de Scharff. Mais personne n’est arrivé à des conclusions aussi précises que Germain, dont le dernier travail[1], résumé et application de toutes les connaissances zoogéographiques au problème qui nous occupe, mérite d’être analysé avec quelques détails.

Examinant les faunes des îles atlantiques en général, il observe dès l’abord deux groupes parfaitement distincts : d’une part, les îles du golfe de Guinée, de caractère africain équatorial, et de l’autre les archipels de l’Atlantique nord, sans connexion faunique quelconque avec l’Afrique tropicale. Le caractère de ces derniers leur est donné par la faune terrestre, car la faune potamique ou d’eau douce est très rare et d’introduction récente. La faune terrestre, au contraire, est presque totalement autochtone, d’aspect continental et sans différences notables d’un archipel à l’autre, quoique les espèces exclusives et donc caractéristiques ne manquent pas, surtout aux Canaries. Les affinités de cette faune avec la faune circum-méditerranéenne sont très grandes ; elle en a aussi, quoique à un moindre degré, avec les faunes des Antilles et de l’Amérique centrale.

Germain confirme ces relations en étudiant successivement chacun des groupes d’animaux terrestres. Nous ne le suivrons pas en détail, et nous nous bornerons à citer quelques exemples. Les Lépidoptères de ces îles comptent 70 % d’espèces méditerranéennes et 20 % d’espèces américaines ; il reste à peine 10 % d’espèces propres. Le genre Nonalhiera, hémiptère particulier aux Canaries, a ses affinités d’une part en Algérie (Marmothania), d’autre part au Guatemala (Sisammes). Chez les Coléoptères des îles atlantiques prédominent les espèces nord-africaines et circum-méditerranéennes, mêlées à des types américains assez nombreux. Mais on observe l’absence des genres Carabus et Lampyris, si abondants en Europe, ce que l’auteur prétend expliquer par le fait que ces genres sont d’autant moins fréquents qu’ils sont plus à l’Ouest dans la région considérée : ainsi, sur les 153 espèces du premier, 17 seulement habitent l’Espagne, 8 le Portugal et 2 le Maroc[2]. On peut dire quelque chose d’analogue des autres groupes d’Insectes, des Vers de terre, des Arachnides, des Isopodes et des Mollusques terrestres, spécialement du genre Helix.

Les considérations d’ordre paléontologique font apparaître la faune malacologique de ces archipels comme une survivance de la faune tertiaire de l’Europe centro-occidentale. Dans cet ordre d’idées, Germain signale comme un fait notable la survivance aux Canaries et aux Açores d’une fougère, l’Adiantum reniforme, propre au Pliocène du Portugal. Des connexions plus modernes sont décelées par l’existence de la Rumina decollata, si caractéristique de la faune méditerranéenne, dans les dépôts quaternaires des Îles du Cap-Vert. Et enfin il faut considérer comme très significative l’existence, tout le long de la côte atlantique marocaine, de dépôts quaternaires à Helix Gruveli, mollusque très analogue aux espèces vivantes des Canaries. Récemment notre malheureux géologue Font y Sagué a trouvé à Fuerteventura quelques dépôts de ce genre, qui peuvent faire supposer une connexion terrestre très moderne entre l’Afrique et les Canaries.

Quelques données zoogéographiques paraissent confirmer, dans l’opinion de Germain, la

  1. Louis Germain : Le problème de l’Atlantide et la Zoologie. Ann. de Géographie, no 123 ; mai 1913.
  2. Quant aux Coléoptères, nous pouvons affirmer, sur l’autorité de nos entomologistes, qui connaissent parfaitement la faune canarienne, que les données de Germain sont inexactes. Les espèces de Carabus qui habitent la Péninsule sont au nombre de 33, avec un grand nombre de races, de formes et de variétés. Ce genre n’est pas absent aux Canaries : on y connaît trois espèces, dont deux à Ténérife (C. faustus Brullé et C. interruptus Latr.), et une spéciale à la Grande Canarie (C. coarctatus Brullé). Au Maroc, encore si peu exploré au point de vue entomologique, on connaît jusqu’à présent sept espèces du genre Carabus, et non deux comme le dit Germain.