Page:Revue historique - 1893 - tome 53.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’exagération la plus outrée, et Jeanbon-Saint-André jugea à propos de prendre notre défense[1]. »

Ainsi, rien de plus simple. Grégoire était absent. Ses collègues en mission, voulant participer au jugement du roi, envoyèrent une lettre d’adhésion à la condamnation, à laquelle il apposa sa signature après qu’on en eut fait disparaître les mots à mort. Attaqués pour cette manifestation équivoque, Jeanbon-Saint-André s’efforça de faire respecter en eux la liberté des opinions.

Rien de plus simple… en apparence. Au fond, rien de plus discutable.

Écartons d’abord du débat l’opinion de Grégoire sur le jugement de Louis XVI[2]. Dès le retour de Varennes, il fut un des plus ardents à attaquer l’inviolabilité et à réclamer la mise en accusation du roi. Mais, si nous l’avons bien compris, c’est la royauté, non le roi, qu’il voulait supprimer. Cette opinion n’a que faire ici où il ne s’agit plus du jugement, mais de la condamnation. Ils sont très nombreux les conventionnels qui, au moment des appels nominaux, changèrent instantanément de manière de voir. Fouché non plus ne voulait pas la mort du roi. « Tu verras, — disait-il à Daunou, — tu verras mon opinion lorsqu’elle sera imprimée, et tu seras étonné du courage que je déploierai contre ceux qui veulent la mort de Louis. » Et l’opinion imprimée de Fouché commençait par ces mots : « Je ne puis concevoir comment on peut hésiter un moment à voter la mort d’un tyran. » Daunou racontait encore cette anecdote : il avait auprès de lui un député qui paraissait prendre un grand intérêt à la vie de Louis XVI. Lorsqu’un membre se prononçait pour la mort, ce député témoignait par ses gestes combien il était opposé aux votes de cette nature. Son tour arrive. Les tribunes, qui avaient sans doute remarqué l’énergique désapprobation manifestée par lui contre la mort, font entendre des menaces telles qu’il est quelques moments sans pouvoir se faire entendre. Enfin le silence se rétablit, et il vote… la mort[3]. C’est le cas de tous ceux qui s’opposèrent au sursis, après avoir voté le bannissement ou la détention, — et de combien d’autres !

Sous l’apparente inflexibilité de son caractère, Grégoire cachait, lui

  1. Mémoires de Henri Grégoire, ancien évêque de Blois, membre de l’Assemblée constituante et de la Convention, publiés par H. Carnot (Paris, 1837, 2 vol. in-8o), t. I, p. 412.
  2. Opinion du citoyen Grégoire concernant le jugement de Louis XVI (Paris, 1792, in-8o), réimprimée sous ce titre : De l’opinion de M.  Grégoire, ancien évêque de Blois et sénateur, dans le procès de Louis XVI (s. l. n. d., in-8o).
  3. A.-H. Taillandier, Documents biographiques sur P.-C.-F. Daunou, 2e édition (Paris, 1847, in-8o), p. 38 et 42.