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les idées d’Arnold : comme lui, il admet que la liberté s’est conservée intacte dans une partie de la population des villes ; comme lui, il attribue une importance considérable aux privilèges ottoniens et au gouvernement épiscopal. Mais c’est par la gilde (freie Einung, Rechtsgenossenschaft) qu’il explique l’autonomie municipale. C’est en elle qu’il voit le principe vital de l’organisme urbain : c’est à elle qu’il ramène la formation des communes jurées qui, pour lui comme pour Wilda, sont identiques à des Schutzgilden.

Les idées de M. Gierke sur la formation des villes du moyen âge sont une partie intégrante de son vaste système sur le droit corporatif allemand. Ce n’est pas le lieu d’examiner ici les graves problèmes que soulève la conception d’ensemble de l’éminent historien. Nous n’avons à nous occuper que d’une question nettement déterminée : l’influence de la gilde sur le développement des villes.

Sous la forme très simple qu’elle revêt chez ses premiers partisans, la théorie qui voit dans la gilde l’origine des villes est aujourd’hui insoutenable. Elle a été construite trop vite et sur des bases trop fragiles. D’une part, on a attribué à un grand nombre de gildes de formation récente et de constitution aristocratique une antiquité très reculée[1] ; d’autre part, on s’est laissé égarer par les apparences. Du simple fait que l’hôtel de ville est appelé dans certaines régions domus mercatorum ou guildhall, on n’hésitait pas à conclure à l’existence d’une filiation directe entre la gilde et la ville[2]. Procédé aussi téméraire que celui des Romanistes invoquant, à l’appui de leur théorie, les mots de curia ou de consules ! En réalité, on s’est contenté à trop bon compte et on a été plus pressé d’affirmer que soucieux de chercher des preuves. Partant de l’idée que la gilde a produit les villes anglaises, on lui attribuait aussi la formation de celles du continent. Mais il faut abandonner aujourd’hui ce raisonnement par analogie. Récemment, M. Gross[3] a démontré, dans un ouvrage d’une érudition aussi abondante que précise, l’impossibilité de rattacher à la gilde les constitutions municipales de l’Angleterre[4]. Et, s’il en est ainsi pour ce pays où les gildes se sont développées plus puis-

  1. M. Gierke le constate lui-même, op. cit., p. 242.
  2. Voy. Gross, The Gild Merchant, I, p. 286, et von Below, Der Ursprung der deutschen Stadtverfassung, p. 69.
  3. The Gild Merchant. Oxford, 1890, 2 vol. Sur cet ouvrage, voy. von Below, dans Göttingische gelerhte Anzeigen ; Ch.-V. Langlois, dans Revue critique, et A. Doren, Untersuchungen zur Geschichte der Kaufmannsgilden, p. 145 et suiv.
  4. The influence of the Gild Merchant manifested itself not in the origin, but in the development of the municipal constitution.