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voit dans les gildes que des associations fermées de marchands, analogues aux corporations de métiers et ne différant de celles-ci par aucun caractère essentiel. D’après lui, l’hypothèse d’une grande gilde primitive, comprenant à l’origine toute la population marchande des villes et de laquelle se seraient postérieurement détachés les divers corps de métiers, n’est pas moins fausse que la théorie de Wilda.

Cette hypothèse a été formulée par Nitzsch dans des travaux parus, en 1879-80, dans les bulletins de l’Académie de Berlin[1]. À première vue, les conclusions de ces travaux semblent en contradiction absolue avec les idées émises dans Ministerialität und Bürgerthum. Mais, à y regarder de près, on y retrouve la même conception fondamentale et la même méthode. C’est des deux côtés le même sentiment de l’évolution historique, du développement lent et organique des phénomènes sociaux. Si les résultats auxquels arrive chacun des deux ouvrages sont très différents, ce n’est pas que la manière de voir de l’auteur se soit modifiée, c’est seulement qu’il a étudié dans l’un et dans l’autre la formation de la bourgeoisie dans des territoires distincts. Dans le sud de l’Allemagne, pays de vieille culture, Nitzsch voit dans le grand domaine le facteur économique le plus actif et il explique par lui l’origine des constitutions urbaines ; dans l’Allemagne du Nord, au contraire, sur les frontières slaves et les rives de la mer, dans ces pays neufs où chaque ville est une colonie, on se trouve en présence d’un tout autre spectacle. On ne rencontre pas ici l’administration compliquée des cités épiscopales du Rhin : on a affaire à des phénomènes beaucoup plus simples. Les villes neuves du nord se forment par immigration. À mesure que la colonisation allemande s’étend, des marchands s’établissent à demeure sous les murailles des bourgs ou dans certains endroits particulièrement favorables au commerce. Entre ces marchands, il n’y a à l’origine aucune différence : il suffit que l’on vive de vente et d’achat pour être désigné par le nom de mercator. Il n’y a pas lieu de distinguer alors entre le commerçant proprement dit et l’artisan. Une grande gilde, association de protection et de défense mutuelle, comprend au début tous les mercatores. C’est elle qui est ici l’élément organisateur de la bourgeoisie, comme l’est dans le sud la ministérialité épiscopale. Mais, à la longue, cette gilde primitive

  1. K.-W. Nitzsch, Ueber die Niederdeutschen Genossenschaften des XII und XIII Jahrhunderts, et Ueber Niederdeutsche Kaufgilden (Monatsbericht der K. Preuss. Akademie der Wissenschaften. Berlin, 1879, p. 4 et suiv., et 1880, p. 370 et suiv.). M. E. Liesegang vient de publier une étude inédite de Nitzsch sur le même sujet : Die Niederdeutsche Kaufgilde (Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte Germ. Abth., 1892).