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un tribunal préexistant dont il n’est que la transformation ? Faut-il chercher ses origines dans l’assemblée judiciaire de la centène, ou dans une justice de marché ?

Le lecteur qui nous aura suivi jusqu’ici dans cette longue étude ne sera pas étonné si nous croyons devoir écarter l’une et l’autre de ces manières de voir. En ce qui concerne la seconde, nous avons déjà fait observer que la ville et le marché sont choses distinctes, indépendantes et entre lesquelles on ne peut établir un lien de filiation[1].

Quant à l’opinion des savants qui considèrent l’échevinage urbain comme une survivance des échevinages de l’époque franque, elle tient trop peu compte, semble-t-il, des caractères particuliers que présente la ville en tant que circonscription judiciaire. Comme territoire juridique, en effet, la ville ne correspond pas nécessairement à la centène[2]. Elle s’est formée sans tenir compte des circonscriptions préexistantes. Le cadre dans lequel s’enferme le droit urbain est tracé par les murailles de la ville, et celles-ci englobent indistinctement des districts de toute nature[3]. Ainsi, ce n’est qu’exceptionnellement qu’il peut y avoir coïncidence entre l’étendue de la centène et celle de la ville. Partant, on ne comprend pas comment l’échevinage urbain pourrait se rattacher à un échevinage de centène[4].

    ville sans vouloir dire par là, bien entendu, que toutes les villes aient possédé des échevins. Le nom varie fréquemment, la chose reste partout la même.

  1. La justitia mercatus et la justitia thelonei étant choses identiques (Rathgen, Entstehung der Märkte, p. 32), il s’ensuit que, si le tribunal urbain provenait d’un tribunal de marché, il serait composé à l’origine de thelonearii, c’est-à-dire de ministeriales. Or, nous avons vu plus haut la lutte entreprise par les villes contre le tonlieu seigneurial et le système d’amendes qui en est la conséquence (voyez plus haut, p. 94, n. 2). La juridiction du marché est une juridiction fiscale : celle de la ville présente un caractère très différent. L’une fonctionne au profit du seigneur, l’autre au profit de la population urbaine. Guiman (Cariul. d’Arras, éd. Van Drival, p. 180) nous présente d’ailleurs un texte qui me paraît rendre impossible toute assimilation entre tribunal de marché et tribunal urbain. Il nous montre en effet, à une époque où Arras possédait déjà son échevinage, que la justitia mercatus est encore aux mains des fonctionnaires de l’abbaye.
  2. Si l’on peut comparer la ville à la centène, c’est en ce sens seulement que l’une et l’autre sont des circonscriptions judiciaires de droit public. Mais il n’existe entre elles aucun lien de filiation.
  3. Voyez plus haut, p. 299.
  4. Rattacher l’échevinage urbain à l’échevinage carolingien est une erreur analogue à celle de ceux qui ont fait dériver les institutions urbaines des institutions de paix ou des privilèges ottoniens (voy. Rev. hist., t. LIII, p. 60). L’échevinage de l’époque franque est essentiellement territorial, celui de la