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juridique du mot, il n’y a pas de ville. Cela est si vrai que, lors de la suppression des communes en France, le ressort judiciaire de la ville est resté intact. On peut abolir le gouvernement autonome des habitants, leur interdire de posséder un sceau, un beffroi, une caisse commune, casser les échevins et les jurés, le territoire juridique urbain comme la coutume urbaine subsistent malgré tout. Ils sont ce qu’il y a de plus essentiel dans la ville et de plus primitif. Tout le reste n’est venu que par surcroît, par voie de conséquence[1].

Nous ne nous sommes occupés jusqu’ici que de la ville en tant que circonscription judiciaire de droit public. Mais il est temps de constater maintenant qu’à côté de sa juridiction publique la ville possède également une juridiction proprement communale. Celle-ci est indépendante de l’État. Elle fonctionne en dehors de son système judiciaire, elle échappe à son contrôle. Les noms mêmes qu’elle porte, juridiction des statuts, judicium sine banno, le prouvent à l’évidence[2]. Tandis que le droit municipal, en tant que droit public, se rattache au droit territorial et au droit de paix, en tant que droit communal, au contraire, il dérive de la corporation bourgeoise elle-même. Il constitue, en quelque sorte, un droit extra-légal. Il se passe de la ratification du seigneur. Il nous apparaît comme le produit du self-government de la ville.

Tout corps judiciaire, au moyen âge, exerce des attributions administratives et, parallèlement, toute administration suppose une certaine juridiction. La ville, dès lors, s’administrant elle-même, possédant ses règlements spéciaux, ayant ses institutions propres en matière de milice, de finances, de police, a nécessairement, en ces matières, une juridiction propre. Cette juridiction communale est celle du conseil, et il importe, avant d’en étudier le caractère, de voir d’où provient cette magistrature nouvelle, si caractéristique des villes du moyen âge.

Nous ne reviendrons pas ici sur ce que nous avons dit plus haut de l’impossibilité où l’on se trouve de rattacher les conseils municipaux soit aux gildes, soit aux institutions des communes rurales[3]. Le conseil est, en France comme en Allemagne, un organisme nouveau et spécialement urbain. On ne le rencontre pas en dehors des

  1. Il en est, à cet égard, de la ville comme du métier, qui présente, lui aussi, le double caractère de corporation autonome (gilde, confrérie) et de réunion d’artisans soumis à un règlement établi par le pouvoir public (officium, ministerium, ambacht, etc.). Ce second caractère est seul essentiel. Il arrive que la corporation soit supprimée sans que, pour cela, le métier cesse d’exister.
  2. Pirenne, Dinant, p. 69. Von Below, Stadtgemeinde, p. 98 et suiv.
  3. Revue historique, t. LIII, p. 64, 73.