Page:Revue historique - 1895 - tome 57.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

conséquence nécessaire du genre de vie qu’elle menait. De même que le métier militaire a fait de l’homme d’armes un noble[1] et que presque partout la culture du sol a fait du paysan un serf, de même l’exercice du commerce va faire du marchand un bourgeois.

Il s’en faut de beaucoup que les colonies marchandes dans les villes se soient établies suivant un plan préconçu. Le xie siècle n’est pas encore l’époque des villes neuves. C’est seulement cent ans plus tard que l’on verra les seigneurs créer des villes de toutes pièces et y appeler la population par des avantages et des privilèges de toute sorte. Au début, il n’existe rien de semblable. On ne peut assez répéter que les marchands viennent se fixer naturellement, sans aucune pression extérieure, aux endroits qui, par une situation privilégiée, se trouvent réunir l’ensemble des conditions nécessaires à un centre commercial. On observe en Flandre, mieux que partout ailleurs, cet intéressant phénomène. Toutes les villes anciennes s’y forment au bord des eaux et portent le nom caractéristique de portus, c’est-à-dire de débarcadères[2]. Ainsi, à l’origine, la vie urbaine ne nous apparaît pas partout à la fois. Ses premiers foyers sont en nombre restreint, mais ils n’en sont que plus actifs. En dépit de la rareté des renseignements, on observe dans certaines villes un accroissement très rapide de la population[3] et de la richesse. Au xie siècle, Lambert de Hersfeld mentionne à Cologne 600 marchands très riches[4], et les Gesta episcoporum Cameracensium vantent, à la même époque, la prospérité de Cambrai[5]. On peut affirmer, semble-t-il, que, dès avant la première croisade, la vie commerciale l’emporte déjà de beaucoup, dans certaines localités, sur la vie agricole[6].

    marchands libres (cf. Rev. hist., LIII, p. 61), est aujourd’hui généralement abandonnée.

  1. Remarquer que, comme la bourgeoisie, la noblesse se compose d’éléments d’origine diverse : libres (liberi homines) et non-libres (ministeriales). La fonction sociale, d’un côté comme de l’autre, a unifié la condition juridique.
  2. C’est de ce mot portus que vient le mot flamand poorter, qui désigne le bourgeois. Le bourgeois est donc essentiellement l’habitant d’une place de commerce. Cf. mercator et burgensis, p. 74, n. 2.
  3. Schmoller, Strassburgs Blüte, p. 22. Walther de Thérouanne, au commencement du xiie siècle, dit de Bruges que cette villa est ad instar civitatis frequens et ampla. Gislebert, Mon. Germ. Hist. Script., XXI, p. 513 : Valencenas villam bonam multisque hominibus populosam. Cf., pour Cologne, Lambert de Hersfeld, p. 215, etc.
  4. Lambert de Hersfeld, Annales, Mon. Germ. Hist. Script., III, p. 215.
  5. Gesta episcop. Camerac., Mon. Germ. Hist. Script., VII, p. 495, 498. — Miracula S. Gisleni, ibid., XV, p. 582. — Add. Vita Macharii, AA. SS. Boll., avril, I, p. 875.
  6. Il y a certainement au xie et au xiie siècle de très riches marchands, de