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déjà plus exclusivement à couvrir les dépenses de la corporation. Les sommes qui y sont déposées sont affectées en partie à des travaux d’utilité publique, à la construction des remparts du bourg, au bon entretien des rues et des places[1]. À cette époque, qui est vraiment l’âge héroïque des bourgeoisies, les marchands suppléent volontairement à l’inaction des pouvoirs publics et de la vieille administration féodale figée dans la routine et incapable de se modifier au gré des besoins nouveaux d’une vie nouvelle.

Quelle qu’ait été l’importance des sociétés marchandes dans les villes, il convient pourtant de ne pas l’exagérer. La gilde a pu aider beaucoup au développement des institutions communales. Ce n’est pas elle qui les a créées[2]. Les doyens, chefs élus d’une corporation autonome, ne se sont pas transformés en magistrats municipaux, et le droit urbain n’est pas en germe dans les règlements que l’on établissait aux assemblées de la Gildehalle. La gilde est simplement une association volontaire. Elle n’a aucune attribution publique. Elle n’existe que du libre consentement de ses membres.

D’ailleurs, son caractère primitif n’a pas tardé à s’altérer. Si, à l’origine, elle comprenait tous les mercatores, on la voit se fermer peu à peu aux petites gens et finalement arriver à n’être plus autre chose qu’une compagnie de grands marchands. À Saint-Omer, au xiiie siècle, elle est devenue une sorte de syndicat de capitalistes. Bien plus, elle ne comprend plus même tous les grands négociants de la ville, mais seulement une partie d’entre eux, ceux qui trafiquent en Angleterre[3]. Il en est de même dans les autres villes flamandes, dont les gildes fédérées sous le nom de Hanse de Londres se réservent soigneusement le monopole du commerce avec la Grande-Bretagne[4].

Les causes de cette aristocratisation des gildes ne semblent pas difficiles à découvrir. Tout d’abord, la division du travail a fini par détacher du groupe des mercatores l’artisan proprement dit. Du jour où celui-ci, absorbé tout entier par l’industrie, cesse de vendre lui-même les produits de son labeur, il n’a plus d’intérêt à faire partie de la gilde. De lui-même, il s’en retire ; on n’a pas besoin de l’en expulser.

  1. Finita potacione et persolutis expensis omnibus, si quid remanserit, communi detur utilitati vel ad plateas vel ad portas vel ad ville municionem Statut de Saint-Omer.
  2. Doren, op. cit., p. 197. Cf. Revue historique, t. LIII, p. 64 et suiv.
  3. Giry, Saint-Omer, p. 413 : « Et quant li hom doit entrer en le confrarie de le hanse il doit jurer à garder les drois de le hanse loiaument aussi com li anchisour l’ont gardé : che est à savoir ke il doit tout laissier manouvrage de se main et abrokerie et regraterie et à peser de trosnel. »
  4. Koehne, Das Hansgrafenamt, p. 205 et suiv.