Aller au contenu

Page:Revue maritime et coloniale, tome 18.djvu/562

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les Annamites creusent et façonnent comme autrefois les Gaulois creusaient les troncs des chênes gigantesques de leurs belles forêts pour en faire des canots. Ces pirogues, qui flottent au ras de l’eau, ont une forme singulière ; elles portent, au milieu, une cabane couverte de feuilles de palmier, où se trouvent tous les ustensiles de la cuisine annamite : car le batelier annamite naît, vit, souffre et meurt sur son bateau. Les extrémités de l’embarcation sont relevées ; c’est là que se placent, debout et faisant face en avant, les pagayeurs, qui sont ordinairement des femmes. Les embarcations un peu fortes, les jonques, par exemple, portent des voiles faites avec des nattes grossières que l’on fabrique soit avec des feuilles de cocotier soit avec des joncs. Dans ces embarcations fourmillent des familles nombreuses qui souvent n’ont pas d’autres habitations.

Dans les quartiers habités par les Annamites, et situés généralement loin du centre de la ville, grouille une population nombreuse. Jusqu’à l’âge de douze à quatorze ans, les enfants des deux sexes vivent pêle-mêle, se vautrant dans la vase ou se roulant dans la poussière.

Ceux qui ont fait la conquête de Saigon ne reconnaîtraient certainement plus la pauvre ville annamite d’autrefois. Où ils n’ont laissé que des chétives cases, établies au milieu de marais infects, se trouvent de jolies maisons, bordant de magnifiques boulevards, auxquels il ne manque plus que le frais ombrage dont on jouira un jour, quand les beaux arbres qu’on y a plantés auront acquis assez de développement pour intercepter les rayons du soleil. Les affreuses paillottes qui bordaient la rive droite du fleuve et la rive gauche de l’arroyo chinois, et devant lesquelles on ne pouvait passer sans être incommodé par une forte odeur de nuoc-mam[1] qui donnait des nausées, ont disparu pour faire place au joli quai Napoléon, ayant cinquante mètres de largeur, et divisé en allées sablées et en plates-bandes gazonnées et plantées d’arbres. Les magasins parfaitement alignés de nos principaux négociants servent d’un côté de cadre à cette agréable promenade, qui est ornée d’une colonne élevée par le commerce de Saigon à la mémoire d’un de ses premiers administrateurs français.

De l’autre côté de l’arroyo chinois, les beaux bâtiments de l’établissement des Messageries Impériales forment un joli quar-

  1. Sorte de saumure faite avec du poisson pourri et servant à épicer les mets annamites.