Page:Revue maritime et coloniale, tome 18.djvu/791

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disette, fléau redoutable contre lequel il ne pouvait trouver de ressources que dans les fertiles rizières de la Basse-Cochinchine. L’impérieuse nécessité le réduisit donc à traiter, et dans les premiers jours de mai 1862 il s’adressait à cet effet au commandant du Forbin, alors en croisière sur la côte. Ce dernier transmit ces ouvertures à l’amiral Bonard, qui s’empressa d’y donner suite, et le 24 mai le Forbin remorquait en rivière jusqu’à Saïgon une grande jonque de guerre annamite, envoyée de Hué avec les plénipotentiaires Phan-Tan-Giang, ministre des rites, et Lam-Gien-Thiep, ministre de l’armée. Le 5 juin suivant était signé le traité qui règle encore aujourd’hui les conditions essentielles de notre établissement en Cochinchine ; c’était assurément le premier exemple d’une semblable célérité dans les fastes diplomatiques de l’extrême Orient. Par ce traité, les trois provinces de Giadinh ou de Saïgon, de Bien-hoa et de Mytho nous étaient données en toute souveraineté. Nulle portion du territoire annamite ne pouvait être cédée à une puissance étrangère sans notre consentement. Une indemnité de 20 millions de francs devait nous être payée en dix ans. Enfin la citadelle de Vinh-long restait comme gage entre nos mains jusqu’à l’entière et définitive pacification de tout le pays.

Ce qu’avait coûté ce traité à l’intraitable orgueil de la cour de Hué, on le devine. Il était donc naturel de supposer que, tout en le subissant ostensiblement, elle ne négligerait aucun moyen de le combattre par les sourdes menées qui lui sont familières, et l’on ne tarda pas en effet à s’apercevoir à divers symptômes que la population indigène était activement travaillée par les agents secrets de Tu-Duc. À proprement parler, jamais ces mouvements insurrectionnels n’avaient cessé d’agiter successivement les provinces que nous occupions ; l’ennemi espérait évidemment, en faisant ainsi le vide autour de nous, nous rendre le pays inhabitable et nous dégoûter de notre conquête. Les villages étaient continuellement pillés et incendiés par des bandes insaisissables ; la circulation du fleuve et des arroyos n’était possible que pour les embarcations armées, et toutes les autres devenaient la proie des nuées de pirates qui infestaient ces cours d’eau. Pendant toute l’année 1861, la province de Mytho, malgré la prise de la capitale, avait été ravagée de la sorte par le lépreux Phu-Kao, qui ne put être pris et exécuté qu’au commencement de 1862. De plus, en décembre 1861, une attaque générale de nos postes avait été combinée entre les chefs, et n’échoua que grâce à l’énergie de nos officiers. L’audace de ces bandes avait même