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Page:Revue pédagogique, année 1919.djvu/288

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REVUE PÉDAGOGIQUE

surtout, de temps. Celui-ci nous étant strictement mesuré, il faut choisir. En fait, nous ne choisissons pas ; l’examen nous impose la première méthode. Au brevet supérieur, l’épreuve écrite, éliminatoire, porte (singulier renversement des choses !) sur la langue vulgaire, sur la langue de conversation ; la traduction ne figure qu’à l’oral, et dans des conditions qui la rendent, en tant qu’épreuve d’intelligence littéraire, assez illusoire.

L’opinion publique, qui se retrouve au fond de tout, en a décidé ainsi. « Une langue vivante est une langue qui se parle. » Voilà une de ces formules qui, comme le sabre de M. Prudhomme, peuvent servir à défendre une institution, et au besoin à la combattre. Si une langue vivante est faite pour être parlée, il faut l’apprendre en vue de la parler ; mais si l’on ne doit pas la parler, il est inutile de l’apprendre ; et comme nos élèves, devenus instituteurs et institutrices, n’auront que rarement, ou point du tout, l’occasion de converser en langue étrangère, le temps passé à l’École normale à apprendre cette langue est manifestement du temps perdu.

Ce raisonnement est trop simpliste pour être absolument juste. D’abord, il ne se peut pas que l’acquisition d’une langue vivante, même si l’on ne doit jamais avoir l’occasion de la parler, même si elle se fait par la méthode directe, dont la valeur éducative, il faut le reconnaître, est médiocre, laisse l’esprit comme elle l’a trouvé. Elle lui ouvre bien au moins quelques perspectives nouvelles. D’ailleurs, la méthode directe, on le sait, a vite épuisé ses effets, et le professeur ne tarde pas à lui adjoindre l’ancienne méthode dans ce qu’elle avait de meilleur, le thème, et surtout la version. En troisième année, rien n’empêche cet enseignement de devenir tout à fait littéraire. Un normalien sortant, s’il a bien employé son temps, n’est pas un linguiste consommé, mais il sait lire, écrire et parler une langue vivante assez couramment, et il s’est initié à la vie et à la pensée du peuple qui la parle d’une façon assez complète pour se trouver vite à l’aise en pays étranger, si le désir lui vient de l’aller visiter.

Or, c’est ce qu’il faut souhaiter le plus vivement, et volontiers j’adopterais, pour juger de l’enseignement d’un professeur de langues vivantes ce critérium : a-t-il su intéresser ses élèves au point de leur inspirer l’irrésistible désir de passer la frontière ?