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Page:Revue pédagogique, année 1919.djvu/290

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REVUE PÉDAGOGIQUE

de la pensée étrangère. La traduction donne la plus haute leçon de probité intellectuelle. On a jusqu’à un certain point le droit de se tromper sur ses propres idées, du moins nous sommes excusables de nous laisser influencer par l’une ou l’autre des forces ennemies que nous recelons en nous, parfois sans nous en douter ; mais il n’y a aucune raison d’espérer l’indulgence de celui dont on déforme la pensée sous prétexte de l’exprimer autrement. Le traducteur doit accomplir un effort de raisonnement parfois très pénible pour arriver au fond de la pensée de son auteur, pour découvrir la logique interne de ses idées, ce qui est le seul moyen, après avoir décomposé une phrase étrangère, de la reconstruire sur le plan d’une autre syntaxe. L’emploi des termes est une autre source de difficultés. Il exige la possession d’un vocabulaire étendu, et une connaissance exacte du sens des mots dans les deux langues. L’esprit, animé d’un mouvement continuel de va-et-vient, considère les termes sous leurs divers aspects, non seulement en eux-mêmes, mais aussi sous le reflet qu’ils se jettent l’un à l’autre, ce qui exige plus que des connaissances grammaticales : le sens de la valeur poétique des mots, de leur force vitale, de leur rayonnement, de leur influence réciproque. Enfin, la fidélité littérale est insuffisante ; il faut aussi rendre, dans toute la mesure du possible, avec le génie de la langue étrangère, le génie de l’auteur, donner l’impression de son style ; après avoir reproduit l’ordre de ses pensées, il faut aussi en rendre sensible le mouvement, en tenant compte, bien entendu, du rythme de chaque langue. En vérité, la traduction est semée de pièges, et si « un sonnet sans défaut vaut seul un long poème », on peut dire qu’une traduction sans faute vaut une bonne composition française. Elle prouve même, à certains égards, plus que celle-ci quant au sens littéraire et aux habitudes mentales des candidats, et une version, adjointe à la composition française au brevet supérieur, aiderait singulièrement les examinateurs à porter sur cette dernière épreuve des jugements plus assurés.

Ce serait donc, je crois, une grosse erreur pédagogique que de supprimer l’enseignement des langues vivantes à l’École normale. Ce serait supprimer nos humanités, à nous qui n’avons pas le grec et le latin. L’introduction des langues vivantes dans