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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1884.djvu/323

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ÉTUDE ET ENSEIGNEMENT DE LA GÉOGRAPHIE EN FRANCE

graphie est une science d’origine essentiellement française ; ayons sans cesse présents à la mémoire les noms de ces premiers géographes, dont nous avons essayé de caractériser l’œuvre en quelques mots ; pénétrons-nous profondément de cette idée qu’ils ont été les véritables créateurs d’une science à peu près inconnue jusque-là. C’est en nous inspirant de leurs exemples et de leurs travaux, c’est en renouant la chaîne de ces traditions du passé, et non plus en imitant les étrangers nos voisins de gauche et de droite, que nous relèverons notre enseignement et parviendrons à recouvrer notre réputation. De tout temps nous avons su la géographie ; nous l’avons même apprise aux autres : pourquoi ne la saurions-nous pas encre aussi bien qu’eux ?

II

On a tort, croyons-nous, de faire remonter aux érudits allemands seuls, à Gatterer, à Mannert, à Ukert, à Spiegel même et à d’autres, que M. Müllendorf aujourd’hui continue si dignement, l’origine première de cette évolution remarquable qui donna naissance à la géographie historique, et de voir dans ces écrivains, quelque grands qu’ils soient, les seuls maîtres de cette science toute moderne. Déjà au xviiie siècle, chez nous, le mouvement s’était prononcé en ce sens. En même temps que de savants géographes nous donnaient des œuvres remarquables, l’Académie des inscriptions et belles-lettres voyait se former dans son sein une association d’érudits qui, remontant aux sources et aux documents de la géographie ancienne et du moyen âge, en faisaient une étude souvent approfondie. Déjà Fréret, Gibert, Bonamy, Mentelle, Sainte-Croix, pour ne prendre que les plus connus, compulsaient et discutaient, alors que l’Allemagne ne comptait guère que Gatterer[1], versé du reste beaucoup plus dans les études historiques que géographiques. Plus tard, sous la Restauration et le gouvernement de Juillet, nous voyons Letronne, Bardié du Bocage, Daunou, Walkenaer, Guigniaut, d’Avezac, et le dernier survivant de cette belle pléiade, M. Vivien de Saint-Martin, continuer à creuser et à élargir le sillon tracé par leurs prédécesseurs. Certes, notre renom, en ce sens, n’avait pas à souffrir de la comparaison avec les savants d’outre-Rhin.

Mais ici, nous avons à constater un fait d’une importance considérable. En Allemagne, cette évolution suit, pour ainsi dire, son cours régulier, ne perd jamais de vue son point de départ, c’est-à-dire la science géographique, et tous ses efforts tendent à assurer son étude sur une base solide et irréprochable. Rien ne la distrait de ce travail, auquel elle s’est mise résolument, avec l’intention de le mener jusqu’au bout : et nous savons si jamais nation a jamais mieux justifié le mot de Buffon : « La patience, c’est le génie. »

  1. J. Ch. Gatterer (1727-1799).