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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1892.djvu/125

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L’ENSEIGNEMENT CHEZ LES INDIGÈNES MUSULMANS D’ALGÉRIE

peut-être avec un mari à moitié barbare. La directrice, Mme Malaval, une femme de grand cœur et de grand mérite, qui console son veuvage par les soins maternels qu’elle prodigue à ses petites sauvages, m’écrivait dernièrement une lettre navrante :

« Habituées à une nourriture simple, mais saine et abondante, à une propreté minutieuse, à une vie pénible mais douce et affectueuse, ces jeunes filles, vendues au plus offrant, n’ont chez elles rien de ce qui était leur vie d’ici. Elles s’ennuient, ne peuvent se faire à la nourriture qui leur est donnée, n’ont pas les moyens de s’en procurer une autre, et tombent malades. Le cour triste et les yeux remplis de larmes, plus d’une de ces pauvres enfants m’a dit : « Madame, pourquoi ai-je connu les Français ? Pourquoi nous avez-vous fait tant aimer la France, puisque nous devions redevenir fatalement et malgré nous de pauvres femmes kabyles, plus malheureuses que celles quine connaissent rien, qui n’ont jamais rien vu ? » Et elles ajoutaient : « Non, nous ne sortirons jamais de nos villages ; nous serons toujours raisonnables, bien sages ; vous n’aurez jamais à vous plaindre de nous. Mais nous ne pouvons même utiliser ce que vous avez bien voulu nous enseigner. »

L’enseignement à Thaddert-ou-Fella est très bien conçu ; plusieurs de nos monitrices et adjointes indigènes sont sorties de là, d’autres jeunes filles ont quitté l’école avec le certificat d’études ; l’une d’elles a même obtenu le brevet élémentaire. Le malheur pour elles c’est qu’on ne peut pas les placer toutes, puisque les écoles enfantines sont encore très rares. Aussi leur directrice s’applique-t-elle à doter ses élèves de notions pratiques, couture à l’aiguille ou à la machine, cuisine, soin de la basse-cour, tenue de la maison, comptabilité domestique. Des moins savantes en grammaire et en histoire elle cherche du moins à faire des femmes utiles même dans un intérieur indigène ; elles y feront pénétrer la civilisation, d’abord sous la forme d’une alimentation plus saine et d’un ménage mieux tenu. C’est avec l’aiguille et la cuiller à pot dans les mains qu’elle y seront des apôtres de la civilisation française.

Pour les raisons que j’ai déduites plus haut, il nous sera difficile, d’ici à longtemps, de multiplier en Kabylie et même ailleurs les écoles de filles. Peut-être faudra-t-il encore nous borner à éle-