Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1892.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
114
REVUE PÉDAGOGIQUE

tribu. On voit assis sur les mêmes bancs cousins et cousines, les grandes sœurs avec les tout petits frères sur leurs genoux ou à leurs côtés. Le président ; qui a marié sa fille, la jolie Ouardhia (Petite Rose), a exigé du mari que l’épouse de quatorze ans continuât à fréquenter l’école : fait unique et inouï en Kabylie. C’est d’ailleurs la ci-devant Mlle Ouardhia qui est la meilleure élève, qui récite le plus gentiment les fables de La Fontaine ou de Florian, résout le plus allègrement les problèmes difficiles, tandis que son frère, un petit diable qu’elle contient à grand peine, suit rageusement une idée fixe, qui est d’arriver à mettre ses pieds sur la table. Quand les élèves sortent de la classe deux par deux, en chantant le Drapeau de la France ou Nos vaillants soldats, elle prend docilement la tête et marque le pas comme les petits camarades. À voir Abdesselam inspecter les murs de l’école, essuyer la poussière sur une table, remettre du bois dans le poêle, — car nous sommes en novembre, — on voit que rien de ce qui intéresse l’école ne lui paraît au-dessous de lui. D’ailleurs toutes ces fillettes, toutes ces Smina (la Grâce), ces Tamagout (la Petite chérie), ces Aïne (Mon œil), ces Chabba (la Jolie), ces Saïna (la Belle), ces Alja (la Bienvenue), ne sont-elles pas ses filles, ses nièces, ses cousines ? Cette école, que les bureaux de l’académie d’Alger s’obtinent à classer comme école enfantine et école mixte quant au sexe, est pour lui une école de famille.

Tout autre est l’orphelinat de filles de Thaddert-ou-Fella. Les vingt-cinq ou trente élèves qui la fréquentent, dont quelques jeunes filles et beaucoup de toutes petites, sont ou des orphelines de familles misérables, ou des filles de pauvres diables et de petits employés indigènes, cantonniers ou gardes champêtres. L’école ici est un internat. Le régime m’en a semblé vraiment spartiate : au dortoir, chaque élève, en guise de lit, a une planche et trois tapis, l’un pour étendre sur la planche, l’autre pour servir de couverture, le troisième pour le rouler sous sa tête, en manière d’oreiller. Une petite caisse de bois renferme la garde-robe très sommaire, et quelques objets indispensables de toilette.

Les frais de nourriture pour chaque écolière se montent à cinquante centimes par jour. Le croirait-on ? Ce régime qui nous paraît si rude les gâte. Il leur rend insupportable la vie qu’il faudra reprendre dans la maisonnette kabyle, malpropre et enfumée,