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REVUE PÉDAGOGIQUE

rie. C’est un pays étrange que celui des Beni-Abbès, et leurs villages se présentent sous l’aspect le plus pittoresque quand on y arrive après un voyage, à dos de mulet, de vingt kilomètres depuis Akbou, toujours en montant. Ils sont posés sur une série de mamelons très hauts, tantôt formés de schistes, tantôt dunes énormes de sable et de cailloux roulés, qui furent sans doute des îlots et des bas fonds quand l’Oued-Sahel coulait à deux cents mètres plus haut que son niveau actuel.

Les villages posés sur ces dunes colossales sont de gros bourgs, et presque des villes. Les maisons n’ont pas de toits comme en Kabylie, mais des terrasses : la note vermillon des tuiles kabyles n’est pas là pour égayer l’œil ; mais les murailles, de pierre ou de pisé, sont jaunâtres, d’un ton très chaud. L’architecture contraste, de toute façon, avec celle des vallées et crêtes du Djurdjura : il y a là des maisons monumentales, qui sont comme l’embryon des palais mauresques, avec de hautes murailles, de larges baies, des cheminées capricieusement bistournées, ouvres d’ouvriers italiens. Tel village se détachant sur un ciel bleu fait penser à Athènes ou Corinthe avec leurs acropoles. Autre détail qui fait également contraste avec la Kabylie : les indigènes qu’on rencontre sont rarement pieds nus et haillonneux, mais bien vêtus, bien chaussés (avec des chaussettes !) de bons sobats arabes ou de brodequins à l’européenne. Ils ont une mine avenante, saluent les premiers ; mais ce n’est plus le salut militaire et le bonjour ou le salam des Kabyles ; c’est : « Bonjour, mon Père ! » Évidemment, pour eux, tout Français est une variété de Père Blanc[1].

N’oublions pas que les Beni-Abbès, quoique musulmans, passent pour être d’origine juive[2]. Tout en haut, dans la montagne,

  1. Nous avons aussi observé ce détail aux Beni-Ouadhia.
  2. Non pas qu’ils soient nécessairement de sang israélite. Il y eut une époque où le christianisme déclinant en Afrique et l’islamisme ne s’étant pas encore imposé, le judaïsme fit de nombreux prosélytes parmi les tribus berbères. La reine berbère Kahina, cette héroïne qui luita désespérément contre l’invasion arabe et succomba les armes à la main (viie siècle), professait la religion juive. De même chez nous, vers l’époque de Dagobert, beaucoup de Gallo-Romains embrassèrent la loi de Moïse. De même dans l’Europe orientale, aux ix et xe siècles, des nations entières, comme celle des Khazars, se laissèrent convertir par des missionnaires juifs. Le grand prince des Russes, Vladimir, hésita un moment entre cette religion et la religion chrétienne.