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EN KABYLIE

matière, la promesse de mariage n’est valable entre Kabyles et n’engage irrévocablement les parties que dans les conditions suivantes :

1° Les parties doivent débattre ensemble et secrètement les conditions de l’union projetée ;

2° Si elles se mettent d’accord, une entrevue officielle est ménagée dans un lieu désigné, où se rendent le futur, le père de ce dernier et le père de la future, en présence de plusieurs témoins ;

3° La future n’assiste pas à cette conférence, où se règlent toutes les clauses définitives du mariage ;

4° Enfin les parties en présence récitent le « Fatha » avant de se séparer ;

Attendu qu’il ne résulte pas des éléments de la cause que toutes les formalités dont l’énumération précède aient été remplies in integrum ; qu’il est établi, en effet, que la future a assisté aux pourparlers qui ont eu lieu entre son père et Tahar-ou-Ramoun ; que la prière dite « Fatha » (formalité essentielle et qui a donné son nom à la cérémonie elle-même) n’a pas été récitée ; qu’en conséquence il n’y a pas eu de fiançailles dans le sens réel des coutumes, entraînant l’irrévocabilité du mariage ; que, par suite, le prétendu contrat n’ayant pas reçu la consécration voulue est entaché d’une nullité radicale ;

Par ces motifs : infirme et met à néant le jugement de M. le juge de paix ;

Dit qu’il n’y a pas eu promesse formelle de mariage entre les parties ; que, par suite, le père de Fatma n’est pas tenu de remettre sa fille à Tahar-ou-Ramoun ;

Le décharge des condamnations prononcées contre lui ;

Et, statuant sur la demande subsidiaire de Tahar-ou-Ramoun, en 200 francs de dommages-intérêts, sur laquelle le premier juge avait omis de statuer, la déclare non justifiée, et, en tous cas, mas fondée ; l’en déboute et le condamne aux dépens. »

Il est convenu, il est même nécessaire qu’on ne discute pas les décisions de la justice, et nous nous inclinons d’autant plus volontiers devant l’arrêt du tribunal de Tizi-Ouzou, qu’en somme Fatma a obtenu gain de cause.

Mais, cette réserve faite, il nous sera bien permis d’avouer que la lecture du jugement nous a causé une véritable stupeur.

Voyez donc à quoi tiennent les choses ! Si Fatma n’avait pas assisté à l’entretien de son père et de son premier prétendant, et si les parties ne s’étaient pas abstenues de réciter le Fatha, les gendarmes auraient eu le droit et le devoir d’appréhender au corps la jeune monitrice indigène, de l’arracher aux bras de son époux et de la livrer au vieux Tahar-ou-Ramoun, actuellement débouté de sa plainte et condamné aux dépens !

Foin de la morale et vive la procédure !

Décidément, la pauvre Fatma l’a échappé belle.