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L’ENSEIGNEMENT CHEZ LES INDIGÈNES MUSULMANS D’ALGÉRIE

désigner les parties du corps, les pièces du vêtement, les animaux domestiques ou sauvages. Puis de petites phrases : « As-tu une chéchia ? — Oui, j’en ai une. — Qui a tissé ton burnous ? C’est ma mère. — Le maître a-t-il une culotte ? — Il en a une. »

Oui bien, il en a une, le maître kabyle ! Et il en est fier et il l’exhibe. Car, depuis qu’il est adjoint ou moniteur, il est devenu une manière de sidi, c’est-à-dire de monsieur.

Si l’on passe aux classes supérieures, on est surpris du progrès accompli en moins de deux ans. Les écoliers parlent français facilement, correctement, presque sans accent. Ou s’ils en ont, c’est parce que beaucoup des instituteurs algériens sont originaires de notre Midi et que l’Algérie elle-même est un Midi.

Il est curieux d’entendre ces gamins en burnous vous parler d’Annibal, de Carthage, des guerres puniques. Ils connaissent Vercingétorix, Jeanne d’Arc, Napoléon, et le maître ne manque jamais de leur faire remarquer combien nous nous sommes mieux conduits avec Abd-el-Kader ou Lalla-Fatma que les Romains ou les Anglais avec nos héros malheureux.

Le calcul, le système métrique n’ont plus de secrets pour eux, et je les vus résoudre des problèmes dont je ne me serais point tiré aussi prestement.

Le vieux Cheikh-Mohand et le garde champêtre en burnous bleu assistent tout attendris à ces exercices.

La sortie de la classe s’opère en rang, au chant des airs patriotiques, français bien entendu, comme Le Drapeau de la France ou Nos vaillants soldats.

J’ai dit qu’il y avait des élèves indigènes dans les écoles bâties pour les Européens. La réciproque est vrai : pas une école kabyle où je n’aie vu sur les bancs, mêlés aux têtes à chéchia, des fils de colons ou de petits fonctionnaires.

J’avais des préventions contre ce mélange des deux races, et, en outre, je doutais qu’il fût possible aux indigènes d’aller du même pas que leurs camarades français. Eh bien ! j’en suis revenu.

Les femmes d’instituteurs français laissent leurs fils et même leurs fillettes s’asseoir parmi les petits musulmans de leur âge : toutes m’ont assuré qu’elles n’y avaient jamais entrevu l’ombre d’un inconvénient.