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Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1910.djvu/447

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L’ARCHÉOLOGIE DANS L’ÉDUCATION NATIONALE

nos campagnes. Que diraient nos contemporains s’ils pensaient que dans deux ou trois siècles on jettera par terre, pour faire passer quelque tramway, tel des monuments élevés à la mémoire de nos soldats morts en 1870, ou bien encore le monument commémoratif du mémorable vol de Blériot ? Est-ce que les monuments anciens n’ont pas une origine analogue, et ne sont-ils pas, au même titre, un patrimoine national qui appartient à toutes les classes de la société, aux hommes de toutes les opinions et de tous les partis ? On raconte qu’en 1793, tandis que la populace qui avait envahi la basilique de Saint-Denis jetait au vent les cendres de nos rois, un vieux soldat qui avait pris une part ardente à la manifestation, s’arrêta soudain devant le tombeau de Henri IV dont il ne voulut pas permettre qu’on insultât les restes.

Cet homme, ressaisi par le sentiment de l’honneur national, pensa, sans doute, qu’il n’était pas nécessaire, pour répudier l’ancien régime, de faire table rase du patrimoine de gloire accumulé par nos pères. Îl a compris, d’instinct, que la solidarité des siècles constitue la force d’une nation et qu’un peuple qui renierait son passé agirait, pour employer une comparaison de Taine, « comme un homme qui, monté au sommet d’une immense échelle, couperait sous ses pieds l’échelle qui le soutient ».

Dans notre vieille France dont nous sommes les tenanciers héréditaires, il ne nous sied pas de nous donner des airs d’hôtes de passage qui n’ont rien de commun avec ceux qui les ont précédés. La maison est celle de nos aïeux ; efforçons-nous d’y retenir leurs ombres qui errent au milieu des souvenirs qu’ils nous ont laissés, et en remontant les âges, de restituer aux choses leur âme fugitive mais délicieuse.

Il en est des peuples comme des individus ; Je ne sais si les déracinés sont à plaindre, dans tous les cas ils ne sauraient être proposés comme modèles. De tous les lieux que l’homme du peuple est souvent forcé d’habiter, il n’en est aucun qui lui soit aussi cher que le coin de terre où il a passé son enfance. C’est là que, comme Jeanne d’Arc, il entend ses voix, la voix des ancêtres. Vienne un tremblement de terre, une inondation qui emporte sa maison : il la reconstruit au même endroit, sachant bien pourtant qu’un jour ou l’autre le même cataclysme risquera