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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/192

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REVUE PÉDAGOGIQUE

vallon, ces chaumières à demi enfouies sous terre, ces maigres cultures disputées aux halliers et ces êtres nus, hâves, décharnés, qui sont des hommes, des femmes et des enfants et qui dressent la tête au son de la trompette ; ils se demandent si, cette année encore, vont revenir le pillage et l’incendie, et par mesure de précaution, bien que ce soit leur seigneur, ils chassent sous la broussaille leurs maigres bestiaux et cachent leurs filles aux regards des hommes d’armes. (Mouvement. — Applaudissements.)

Ce sont ceux-là auxquels je pense, qui sont condamnés à la misère, à la faim, au désespoir, à l’ignorance, à la superstition — pire que tout ! — Je pense à eux, d’abord parce que ce sont nos pères, à nous qui ne nous vantons pas de descendre de la noble race des conquérants, et puis ensuite parce que c’est dans l’âme de ces malheureux, de ces millions de misérables que git l’étincelle sacrée que nous avons à développer maintenant, celle sur laquelle nous appuierons l’éducation civique, l’amour de la patrie !

Oui, quand l’Anglais envahira la France, c’est du sein de ce peuple malheureux que sortiront ces héros inconnus dont un seul a surnagé, le grand Ferré, et qui arrêteront l’ennemi en lui disputant pied à pied, broussaille par broussaille, le sol sacré de la patrie.

Et quand ils seront vaincus, quand l’Anglais se sera étendu sur les deux tiers du royaume, aura fait couronner son roi à Paris et assiégera Orléans ; quand le petit roi de Chinon, caché derrière la Loire, oubliera tout ; quand tout sera perdu, même l’honneur, alors c’est du sein de ce peuple que sortira cette vierge admirable, Jehanne la bonne Lorraine, celle qui disait : Oncques ne vis couler le sang français que mon cœur ne faillit ; elle relèvera la bannière royale abattue, sauvera la patrie française et mènera sacrer son roi ; puis, pour toute récompense, oubliée du roi, abandonnée des chevaliers, elle montera à vingt et un ans sur un bûcher allumé par la main des évêques ! (Salve d’applaudissements. — Vive émotion.)

Non moins éloquent est le passage sur la Révolution française :

Je crois qu’il n’est pas de langage plus élevé à tenir à l’enfant et qui soit de nature à le faire plus réfléchir sur la grandeur du rôle qu’il sera appelé à jouer quand il sera citoyen, que de lui dire : Tout n’est pas fini ; ceux qui t’ont précédé ont beaucoup travaillé, beaucoup souffert pour te léguer l’état social dont tu jouis ; mais cet état n’est pas parfait : tu ne peux pas t’endormir sur leur œuvre ; il faut continuer à y travailler, à la perfectionner ; il faut souffrir aussi pour léguer à ceux qui te suivront un état social plus voisin de l’idéal de justice. (Salve d’applaudissements. — Bravos répétés.)

Cet idéal de justice, il faut montrer combien nos institutions s’en approchent et tendent de jour en jour à l’atteindre. Cela est de nature à séduire l’âme toujours généreuse de l’enfant. Il faut lui faire voir comment cet idéal de justice n’est entré dans notre législation et dans nos institutions que depuis la grande Révolution ; comment ces libertés, qui lui paraissent aussi nécessaires et aussi naturelles que l’air qu’il respire et le soleil qui l’éclaire, — liberté de conscience, de travail, d’association, de réunion, liberté de parler et d’écrire. — comment l’égalité dans les fonctions publiques, devant la justice, devant l’impôt, — comment tout cela est né d’hier et date de 1789. Il faut mettre devant ses yeux notre état social en opposition avec celui qui a précédé, et lui faire voir comment, dans le service militaire, dans l’impôt, dans la justice même, l’injustice régnait autrefois, c’est-à-dire l’inégalité. (Applaudissements.)